Le rideau s’ouvre sur un énorme ventilateur industriel, à peine éclairé dans la pénombre qui règne encore sur la scène. Autour de lui gravitent bientôt, de plus en plus nombreux et de plus en plus visibles, les corps des interprètes qui prennent peu à peu possession du plateau. En quelques instants, dans une lumière encore timide, Emilio Calcagno présente au public les deux protagonistes de Storm : l’humain face à la machine, ou ce qui nous compose face à ce qui nous modifie. Jouant ainsi autant de la chorégraphie que de la scénographie, il donne à son ballet un espace de jeu, de recherche et de création d’images qui redessine les contours de ce qui est attendu.
C’est ce qui se fait évidence tout au long de la représentation. Prenant pour appui des éléments très académiques, voire parfois archaïques, de la danse de ballet, Calcagno emmène ses danseurs dans des réinterprétations, des appropriations des pas traditionnels. Les sortant ainsi du cadre très classique dans lequel on les attend, le chorégraphe propose une vision en pied-de-nez au carcan hermétique du ballet, dynamique qu’il assume jusqu’à le faire prononcer par l’un de ses interprètes, comme un ras-le-bol affirmé contre le classicisme figé.
Porté par une équipe en partie renouvelée depuis sa création, Storm ne se contente toutefois pas de remettre en question la pratique de la danse. La pièce fait ressortir d’autres éléments, notamment du côté de l’humain. Certes le vent soufflé par les multiples ventilateurs, parfois avec une grande puissance, a tendance à moduler les mouvements des interprètes et à modeler les images qui en découlent. Mais face à cette implication technique, donc extérieure, c’est aussi toute une synergie des corps qui est mise en avant.
Dans leur confrontation avec ce qui n’est pas palpable, les interprètes du ballet se font ainsi organisme se constituant, se scindant, se délitant, mais luttant quoiqu’il arrive. Au gré de cet élan de mouvements, autant mimétiques ou synchronisés qu’ils peuvent être libres et indépendants, une énergie singulière se dégage des danseuses et danseurs, dans une connexion qui passe aussi bien par le geste que par le regard. Un regard qui s’instaure par ailleurs à plusieurs niveaux, au sein de la chorégraphie même ou dans le régime d’attention demandé aux interprètes lorsqu’ils ne dansent pas, et qui contribue à une lecture d’ensemble fluide et sincère.
Avec Storm, Emilio Calcagno s’attache à donner au Ballet de l’Opéra Grand Avignon une dynamique qui lui correspond et qui mêle sa propre volonté d’auteur scénique à la performance, indéniablement précise et technique, de ses danseurs.