« Villa » et « Gaviota », le Printemps de la resistencia

L’espagnol s’invite au Printemps des Comédiens. Au Théâtre La Vignette comme dans la cabane Napo sous la pinède du Domaine d’O, la programmation a fait la part belle à deux propositions sud-américaines : deux salles, deux pièces, une langue pour un théâtre de la résistance.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu au Printemps des Comédiens
6 mn de lecture

Pour ce week-end d’ouverture, la programmation du Printemps des Comédiens a pris son plus bel accent hispanophone. Avec la pièce Villa présentée à La Vignette par l’équipe chilienne de Guillermo Calderón et la version concentrée de La Mouette de Tchekhov sous la direction de l’Argentin Guillermo Cacace dans Gaviota, c’est dans un acte de résistance que s’est lancée cette 38e édition du festival montpelliérain. Retour sur une journée d’un théâtre en lutte.

Villa ou l’héritage de la torture

Ces trois femmes viennent à peine de se rencontrer. Elles ont pourtant entre leurs mains une importante décision à prendre : celle du sort qui doit être réservé à la Villa, là où s’est exprimée la pire des violences et toute l’inhumanité de la dictature chilienne. L’ombre effrayante des agressions, viols, mutilations et autres tortures impunies plane au-dessus d’elles, orientant leurs réflexions vers la meilleure décision à prendre, celle de la majorité d’entre elles. Car dans ce huis-clos à la Douze hommes en colère, un vote doit finir par sceller le sort de la Villa. D’une reconstruction à l’identique ou de la réhabilitation des lieux en musée témoin, difficile de parvenir à un accord dans le flot des arguments qui abondent en tous sens.

Villa de Guillermo Calderón © Pola Gonzalez Foto

Dans Villa, Guillermo Calderón propose un théâtre du verbe plutôt que de la forme. Au gré d’un texte qui s’écoule comme une logorrhée ininterrompue, il dirige ses trois comédiennes dans une pièce qui s’affranchit presque totalement de l’objet esthétique. En accordant une telle importance à son propos, il donne lieu à une création que l’on pourrait qualifier de documentaire mais qui, en dépit de la puissance de son sujet, peine à trouver sa théâtralité. Pourtant les interprètes sont d’une justesse indéniable et leur trio fonctionne dans un équilibre évident… Trop évident ? Le jeu, recentré sur elles trois, alimente une distance scène-salle déjà particulièrement étirée par l’éloignement physique imposé par la scénographie. Le dispositif concentre finalement l’attention sur les rapports de force qu’entretiennent ces trois femmes plutôt que sur les raisons de leurs débats, qui apparaissent en définitive comme anecdotiques.

Gaviota, la puissance de l’épure

Le théâtre de Guillermo Cacace n’a besoin d’aucune scène ni d’aucun artifice. C’est le constat sans appel qui s’impose à la sortie de Gaviota. Dans cette version retravaillée avec son dramaturge Juan Ignacio Fernández, le metteur en scène argentin fait de La Mouette de Tchekhov un diamant brut, taillé avec ses cinq comédiennes qui rivalisent de justesse, d’émotions et de puissance. Assises autour d’une table envahie d’emballages de nourriture, de bouteilles vides et de pages de texte, elles invitent le public à leurs côtés, comme pour partager l’étape de travail d’une création encore en cours. Il ne faudra pourtant pas longtemps pour comprendre qu’il n’en est rien, que tout est déjà réglé au millimètre et que le piège du théâtre, celui qui vous prend aux tripes, s’est déjà refermé.

Gaviota de Guillermo Cacace © Francisco Castro Pizzo

Tout se joue par des regards, dans une tension sans fin qui unit Clarisa Korovsky, Marcela Guerty, Paula Fernandez MBarak, Muriel Sago et Romina Padoan. À la faveur de la proximité qu’elles entretiennent entre elles et avec le public, elles vivent leurs rôles plus qu’elles ne les interprètent. Ainsi assènent-elles leur théâtre comme on tape du poing sur la table, ne laissant aucune autre issue que celle de la dernière réplique. Sans fard, presque sans costume et avec pour seuls outils leur jeu et des micros, les comédiennes donnent naissance à un théâtre d’une rare intensité et d’une grande pureté. Avec Gaviota, Guillermo Cacace réalise une pièce forte. On ne sort pas indemne de cette salle aux allures clandestines où semble bouillonner une véritable résistance par le théâtre.


Villa
Création 2011
Vu avec le Printemps des Comédiens au Théâtre La Vignette – Montpellier

Crédits

Avec : Francisca Lewin, Macarena Zamudio, Carla Romero / Mise en scène : Guillermo Calderón / Assistanat à la direction, production : María Paz González / Scénographie : María Fernanda Videla

Tournée
  • du 31 mai au 1er juin 2024 : Printemps des Comédiens, Théâtre La Vignette Montpellier
  • du 19 au 21 juillet 2024 : GREC Festival de Barcelona, Espagne
  • 24 juillet 2024 : MIT Ribadavia – Ribadavia Theatre Festival, Espagne

Gaviota
Création 2023 – Apacheta Sala/Estudio
Vu au Printemps des Comédiens

Crédits

Avec : Clarisa Korovsky, Marcela Guerty, Paula Fernandez MBarak, Muriel Sago et Romina Padoan / Dramaturgie : Juan Ignacio Fernández / Mise en scène : Guillermo Cacace / Photographie : Alejandra Lopez / Conception graphique : Leandro Ibarra / Assistanat à la mise en scène : Alejandro Guerscovich

Tournée
  • du 30 mai au 2 juin 2024 : Printemps des Comédiens, Cabane Napo – Domaine d’O Montpellier
  • du 22 au 27 août 2024 : Festival Noorderzon, Festival of performing Arts & Society
  • du 29 au 31 août 2024 : FITT Noves Dramaturgies, Tarragone, Espagne
Partager cet article
Avatar photo
Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
Suivre :
Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine Snobinart !