Les témoignages recueillis pour la conception de Dans la mesure de l’impossible parlent d’eux-mêmes. Les travailleurs humanitaires qui ont accepté de se confier sur leur travail ne voient pas l’intérêt de porter leur parole sur un plateau. Qu’est-ce que cela pourrait apporter à qui que ce soit ? Ils ne sont pas des héros, les actions qu’ils mènent jour après jour dans les zones sensibles, au plus près des drames de notre monde, relèvent de la nécessité de l’action plutôt que de celle du discours.
Pourtant, c’est bien par le medium du théâtre que Tiago Rodrigues en fait l’écho. Réunissant une équipe de cinq interprètes, dont un batteur, il construit peu à peu un récit du réel sur les fondations des multiples anecdotes rapportées qu’il sert, brutes, à un public qui découvre comme rarement les dessous du travail humanitaire. Des décisions les plus inhumaines à prendre, comme celle de vie ou de mort sur des enfants, à la confrontation directe aux conflits armés et à leurs conséquences, ces sauveteurs internationaux s’engagent dans un flux infini de souvenirs qui appartient, pour eux, au commun.
Et si chacune de leurs histoires, parfois volontairement étirées, scindées ou dramatisées par la montée en intensité des percussions, dresse déjà un portrait inédit de ce travail de l’ombre, c’est l’accumulation et l’intrication de tous ces témoignages qui font ressortir toute la difficulté et la noirceur de ces missions pourtant essentielles. Au service de ce constat, la scénographie qui s’attelle à monter en direct une gigantesque tente blanche comme symbole apparaît bien dérisoire, tant le texte et les interprètes suffisent à dire l’indicible.
En faisant le choix de ne nommer aucun lieu ni aucune organisation, leur préférant le terme d’impossible, Tiago Rodrigues donne à son spectacle une valeur intemporelle qui répond à une situation géopolitique internationale vouée à l’instabilité permanente. Quelles que soient les références avec lesquelles on assiste à Dans la mesure de l’impossible, il y a dans cette pièce toute l’essence d’une (in)humanité qui se répète et se révèle dans ces innombrables conflits à travers le monde, à travers les années.
Dans le cadre d’un Festival d’Avignon qui se concentre de toute évidence sur la réalité du monde et sur la mise en lumière des personnes laissées dans l’ombre, la programmation de ce spectacle apparaît pour le moins pertinente et contribue à son ambition internationale. L’écho des humanitaires, lui, a également trouvé sa voie jusqu’à un public particulièrement attentif et indéniablement conquis.