“Le Mariage forcé” par le Munstrum Théâtre, la farce est humaine

Au sein de la maison de Molière, Louis Arene créait en 2022 cette étonnante version du Mariage forcé avec la troupe de la Comédie-Française. Désormais associée au Théâtre des Célestins, la compagnie Munstrum Théâtre poursuit avec cette pièce sa rencontre avec le public lyonnais au travers d’une identité marquée et marquante.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Théâtre des Célestins
4 mn de lecture
© Brigitte Enguérand

Voilà plus de dix ans que le Munstrum Théâtre existe. Depuis 2012, cette compagnie à l’esthétique bien marquée a déjà gravé de son identité la création contemporaine, notamment au travers d’un travail affirmé des masques et des corps. En 2022, c’est aux côtés de la Comédie-Française que le metteur en scène et cofondateur du Munstrum Louis Arene s’est attaqué à Molière. Dans Le Mariage forcé, une pièce pourtant rare sur les plateaux du fait de sa durée relativement courte, il développe une farce physique qui, sous ses airs de légèreté grand guignol, révèle une cruauté profondément humaine.

L’usage du masque, le Munstrum Théâtre en a fait l’une de ses signatures. Permettant de gommer une partie des caractéristiques physiques des interprètes tout en appuyant sur des traits que l’on grossit jusqu’à la caricature, cette discipline n’a rien de nouveau. Et à voir ce Mariage forcé, comment ne pas penser à l’esprit de la Commedia dell’Arte ? Mais fort de cet héritage, Louis Arene va chercher dans sa mise en scène des émotions poussées à l’extrême, avec une interprétation qui ne se satisfait pas de la discrétion ou de la parcimonie, le tout poussant vers une théâtralité éclatante… à vous faire enfin aimer Molière à nouveau ! 

Dans Le Mariage forcé, il ne s’agit pas seulement, comme on peut le voir régulièrement avec des classiques, de s’emparer d’une pièce d’un autre siècle pour en faire ressortir quelque semblant de modernité. Au cœur d’une scénographie aussi austère que fonctionnelle – et particulièrement efficace – co-signée avec Éric Ruf, Louis Arene semble avoir effacé toute contextualisation pour en extraire l’essence pure de la nature humaine. Derrière les masques, dans cet espace qui ne fait écho à rien de connu et où tout devient possible, le metteur en scène développe avec force un lieu d’expression de la cruauté humaine. On en rit, bien sûr, et beaucoup, qui plus est. Mais derrière ces éclats apparaissent avant tout les manipulations, les rapports de force et les aspirations des uns aux dépens des autres.

Car on s’inquiète finalement peu du texte original et de ce qu’il raconte en propre. Il y est, évidemment, et très talentueusement interprété par la troupe de la Comédie-Française qui régale le public du plaisir palpable qu’elle prend dans ce spectacle, en s’amusant par ailleurs des anachronismes et autres ajouts et références extra-textuels qui sont disséminés ici et là. Mais sous la patte du Munstrum Théâtre, Le Mariage forcé devient finalement prétexte à creuser au-delà du propos de surface pour mettre le sous-entendu au premier plan. Par cette approche, c’est à une création de la forme, de l’esthétique et de la sensation que Louis Arene convie les spectateurs. En proposant une réflexion qui fait appel à l’instinct humain et aux images fortes, le tout développé avec une passion pour le théâtre d’artisanat, le metteur en scène offre – peut-être même sans le vouloir – l’un des Molière les plus modernes de son époque… Jouissif !


Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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