Ivo van Hove dissèque l’humain chez Bergman

En ouverture de cette édition 2023, le Printemps des Comédiens présente sa première production, confiée au metteur en scène Ivo van Hove. Celui qui avait déjà investi l’amphithéâtre d’O la saison dernière avec son Tartuffe, porté par la Comédie-Française, s’associe à nouveau avec de grands noms pour la recréation en français du diptyque Après la répétition / Persona, deux textes d’Ingmar Bergman.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Printemps des Comédiens
5 mn de lecture
© Marie Clauzade

L’espace est cloisonné, gris, froid et impersonnel. En dépit de quelques projecteurs, enceintes et éléments de régie qui nous rappellent que nous sommes dans une salle de répétition, rien ne fait vraiment théâtre ici. Et pour cause, le metteur en scène que joue Charles Berling a depuis longtemps oublié la frontière qui sépare la scène de la vie quotidienne. Il est là, au travail, tandis que le public s’installe. Il y sera toujours une fois la pièce terminée.

Autour de lui s’amoncellent les souvenirs, accessoires et décors laissés ici au fil des ans dans le sillon creusé par le temps. Il s’y attache malgré lui dans ce refuge qu’il ne parvient plus à quitter. Au-delà de l’évidente question du méta-théâtre, c’est tout l’effet de la nostalgie – souvent amère –, de la rencontre d’un passé et d’un présent qui peinent à se construire ensemble, qui est mis en avant dans Après la répétition.

Tu commences à devenir insupportablement théâtrale !

Car si la répétition d’une pièce sert à cadrer le propos servi par les comédiens, c’est bien l’humanité des personnages, dans ce qu’elle a de plus tourmenté, qui émerge peu à peu de leurs échanges. Rien de ce qui se joue ici n’appartient vraiment au monde. Mais dans ces scènes de l’intime, on note une recherche de réalisme qui met en exergue toute la noirceur, la violence et les relations viciées qui se sont instaurées au gré des époques.

Là encore, difficile de distinguer ce qui est vrai de ce qui ne l’est pas – ou plus. La construction de la pièce fonctionne par duos, comme des bulles fantasmées qui convoqueraient un passé relatif ou un présent alternatif. Après la répétition remet systématiquement en question la réalité dans laquelle évoluent les personnages, dans une quête de sens qui ne trouve sa résolution ni à l’échelle du monde, ni à un degré plus personnel.


Les relations qu’ils entretiennent les uns avec les autres prennent vie au plateau dans le rapport qui lie le personnage de Charles Berling à ses comédiennes, confrontant la fragilité d’une jeune artiste interprétée par Justine Bachelet à la virtuosité passée d’une actrice sous les traits d’Emmanuelle Bercot, qui campe son personnage avec une justesse touchante, glissant peu à peu le public vers le deuxième volet du spectacle : Persona.

Ici plus de meubles, plus d’accessoires, plus de superflu. Hormis une table en guise de lit, deux bobines de pellicule qui servent de tabourets et une armoire, les cloisons grises ont désormais transformé l’espace en boîte hermétique, entre la cellule capitonnée et la chambre d’hôpital. Même la porte a perdu sa poignée, laissant comme seule issue possible celle qui fait face au public.

Pourtant, l’actrice que joue Emmanuelle Bercot – littéralement mise à nu comme sur une table d’autopsie – a fait le choix de quitter la scène pour se réfugier dans le mutisme, dans un rejet qui l’a menée à son hospitalisation. L’atmosphère, déjà sombre dans le premier volet malgré les quelques rires, prend désormais une ampleur qui tient presque de l’horrifique, la musique travaillant nettement en ce sens.

Autant vous occuper à vous tourmenter puisqu’il n’y a rien d’autre.

Dans cette pièce, à nouveau, le public assiste à la rencontre de la jeunesse face à l’expérience. Mais la relation qui s’établit prend une nouvelle ampleur, le refus du langage de l’une se trouvant compensé par la loquacité de l’autre. Ainsi s’instaure un rapport que l’on détermine difficilement, mais qui doit peu à peu mener sur la voie de la guérison, dans un processus qui continue de sinuer parmi les travers de l’humain.

Dans Persona, c’est la scénographie de Jan Versweyveld qui apporte une nouvelle dimension, prenant pour appui toute une panoplie d’effets visuels qui impressionnent. Ils créent des images ponctuelles qui fixent le regard sur des instants qui nous transportent presque au cinéma.

Au gré de ces manifestations esthétiques, Ivo van Hove tisse par le propos des liens entre deux textes à priori indépendants, dans des espaces encore une fois à la frontière entre projection mentale et présent concret. Un principe d’ambivalence qui se fait définitivement fil rouge dans Après la répétition / Persona et qui nous poursuit jusqu’en sortie de salle…

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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