« Démonter les remparts pour finir le pont », tel est le nom donné à ce compagnonnage conclu entre le Festival d’Avignon et Gwenaël Morin, à qui sera offerte chaque année l’opportunité de créer une pièce du répertoire en lien avec la langue invitée. Comment passer à côté de Shakespeare pour cette édition anglophone ? Prenant au pied de la lettre la mission qui lui a été confiée, le metteur en scène s’empare donc de l’une de ses pièces les plus fantastiques et compte sur sa notoriété universelle pour en extraire l’essence.
Même le titre du spectacle n’a pas besoin d’être dit en entier. Dans le programme comme sur les feuilles de salle, on lit Le Songe et on devine la suite. D’ailleurs, dans le jardin de la Maison Jean Vilar, rien n’est fait pour préserver ne serait-ce qu’un soupçon d’inconnu. L’intégralité du texte de la pièce est imprimée et sert de rideau de fortune pour le théâtre qui va se jouer, et le déroulé de l’intrigue est résumé comme un ordre du jour sur un grand tableau blanc volontairement laissé à la vue du public.
Aucune surprise, donc, et même un côté très artisanal qui ressort d’emblée, avec des accessoires qui semblent bricolés avec les moyens du bord et des interprètes apparemment étonnés de devoir jouer, encore, à peine plus convaincus que le public qui leur fait face. Mais attendez… Gwenaël Morin ne serait-il pas en train de transposer la fameuse préparation de la pièce des artisans à sa propre troupe ? À contre-pied du texte original, le metteur en scène fait le pari du second degré intégral et tente une approche faussement et péjorativement amatrice qui vient perturber les spectateurs si aguerris d’Avignon.
Mais qu’on ne s’y trompe pas : il faut être terriblement bon pour être aussi mauvais. Les yeux levés au ciel par dépit, les expirations de désintérêt, les tirades monotones et désengagées, le surjeu augmenté d’un volume sonore poussé à son extrême… Rien ne peut retenir un public qui assiste à autant de mauvaise foi et de médiocrité, et pourtant ! En refusant d’aborder Le Songe par le biais d’une sur-intellectualisation souvent inutile, Gwenaël Morin propose une version aussi accessible qu’exigeante et donne à voir un spectacle émancipatoire qui, disons-le, fait du bien.
Tout ne se fait pas en un instant, malgré tout. Encore faut-il dépasser les fortes attentes liées au contexte du festival qui ne laisse aucune chance à l’échec ou au dilettantisme, et accepter que la forme qu’on nous propose n’aille pas plus loin que le simple récit d’une histoire, quel que soit son vecteur. En l’occurrence, cette bande de potes qui s’est donné pour mission de nous raconter ce Songe atteint son objectif et nous offre une parenthèse sans prétention, contribuant mine de rien au principe de transmission inhérent au spectacle vivant.
Que l’on connaisse ou non la pièce de Shakespeare – certains spectateurs n’ayant visiblement pas observé l’ordre du jour font même l’erreur d’applaudir trop tôt –, Gwenaël Morin en garde l’essentiel et joue un rôle presque pédagogique. « Démonter les remparts pour finir le pont », voilà qui trouve finalement tout son sens, sans compter que l’on rit, à condition d’en accepter les règles !
Le Songe
Création 2023 – Festival d’Avignon
Crédits
Avec Virginie Colemyn, Julian Eggerickx, Jules Guittier, Barbara Jung, Grégoire Monsaingeon, Nicolas Prosper / Texte William Shakespeare / Mise en scène et scénographie Gwenaël Morin / Dramaturgie Elsa Rooke / Chorégraphie Cecilia Bengolea / Création sonore Grégoire Monsaingeon / Lumière Philippe Gladieux / Costumes Elsa Depardieu / Régie générale Jules Guittier, Nicolas Prosper
Tournée
- Du 11 au 15 décembre 2024 aux Célestins – Théâtre de Lyon