L’imagination va bon train dans les gradins installés au cœur du jardin de la Maison Jean Vilar. Devant la nudité de l’espace délimité par quelques arbres et buissons, les spectateurs ont tout loisir d’imaginer la manière dont l’histoire de l’un des plus grands héros de la littérature espagnole va se raconter ici. Mais pour l’instant, c’est sur ce terrain – peut-être fertile, quasi vide c’est en tout cas certain – que Gwenaël Morin s’apprête à donner vie à son Quichotte… sans “Don”. Dans le choix de son titre, déjà, le metteur en scène va non seulement à l’essentiel, mais il prend aussi ses libertés. Ce personnage ne sera pas celui tant attendu, n’en déplaise aux spectateurs déjà déçus de ne pas voir apparaître de cheval dans cet espace vert.
Et pour cause, si cheval il devait y avoir, celui de Quichotte serait en bois, en carton ou de la même matière que les rêves. Sous les traits de Jeanne Balibar, délicieusement paumée dans ce grand jardin où prennent vie ses aventures, le chevalier du dimanche s’imagine une vie trépidante comme celles des romans dont il se gave. Allégorie bien connue de cet homme qui ne connaît de la vie que ce qu’il trouve dans les livres, ce récit prend sous la patte de Gwenaël Morin une dimension particulièrement attendrissante. Dans un contexte où la censure culturelle n’apparaît plus totalement improbable, difficile de ne pas se prendre d’une certaine affection pour ce faux héros qui cavale comme un enfant d’un arbre à l’autre et qui voit des châteaux en lieu et place de rades miteux. À vrai dire, il y aurait presque de quoi être jaloux de cette candeur.
Pourtant, de la naïveté à la pitié il n’y a qu’un pas. Se confrontant seul aux ennemis qu’il s’invente, Quichotte est laissé à la merci de son inépuisable esprit. Autour de lui, Thierry Dupont, Marie-Noëlle et Léo Martin ont beau tenter de lui prêter main forte en jouant les personnages dits secondaires ou les narrateurs, ils ont surtout du mal à retenir leurs rires en regardant cet homme se battre contre le vent. Non content de se moquer ouvertement de lui, ils embarquent même le public dans leur malveillance. Ainsi projeté au centre de sa propre farce malgré lui, le chevalier errant ne voit pourtant rien de ce qui se trame autour de lui, tout enfermé qu’il est dans ses univers fictifs où tout peut s’écrire à l’envi.
Pour sa deuxième création dans le cadre du projet Démonter les remparts pour finir le pont, Gwenaël Morin poursuit sa décortication dramaturgique des œuvres majeures dont il s’empare. Préférant l’essentiel aux fioritures, l’insouciance à l’inintelligible, le metteur en scène et ses interprètes s’offrent avec Quichotte un bac à sable taille adulte dans lequel le plaisir du jeu redevient la règle. Et si “faire du théâtre”, c’était finalement se façonner des armures en carton, chevaucher des tables ou construire des cabanes sur le terreau de notre imagination ?
Quichotte
Création 2024 – Festival d’Avignon
Crédits
Avec Jeanne Balibar, Thierry Dupont, Marie-Noëlle, Léo Martin / Texte d’après Miguel de Cervantes / Adaptation, mise en scène et scénographie Gwenaël Morin / Lumière Philippe Gladieux / Assistanat à la mise en scène Léo Martin / Travail vocal Myriam Djemour / Costumes Elsa Depardieu / Régie générale et lumière Loïc Even / Régie plateau Jules Guittier
Dates
- Du 18 au 21 septembre 2024 : Bonlieu Scène nationale d’Annecy
- Du 26 septembre au 12 octobre 2024 : La Villette (Paris)
- Du 15 au 18 octobre 2024 : Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine
- 7 et 8 novembre 2024 : Malraux Scène nationale de Chambéry Savoie
- 14 et 15 novembre 2024 : Les Salins Scène nationale de Martigues
- Du 20 au 23 novembre 2024 : Théâtre Saint-Gervais (Genève, Suisse)
- Du 26 au 28 novembre 2024 : La Filature Scène nationale de Mulhouse
- Mars 2025 : Théâtre Vidy-Lausanne (Suisse)
- Du 18 au 22 mars 2025 : Théâtre Sorano Scène conventionnée avec le Théâtre Garonne (Toulouse)
- 25 et 26 mars 2025 : La Coursive Scène nationale de La Rochelle
- 29 et 30 avril 2025 : Théâtre du Bois de l’Aune (Aix-en-Provence)