Batterie, guitare, basse et claviers sont en place sur la scène que surplombent quelques copies de morceaux choisis du mur de Berlin. Le look queer punk des instrumentistes laisse peu de place au doute : ce qui va se dérouler sur ce plateau va nous décoiffer… et ce n’est pas peu dire. Dans l’ambiance concert de bar américain, celle que tout le monde attend sans la connaître s’apprête à faire son entrée de superstar à jamais oubliée – pour peu qu’on en ait déjà entendu parler.
Car malgré l’énergie et la sincérité avec lesquelles Hedwig se donne corps et voix à ce public, il est une chose qui ne trompe pas : la chanteuse est contrainte de se présenter, de raconter qui elle est, de légitimer sa propre place pour que les spectateurs finissent par lui accorder l’importance qu’elle estime mériter. Par ses confessions aussi intimes que triviales, elle reconstruit peu à peu le parcours qui l’a menée jusqu’ici, et nous embarque avec elle dans un récit touchant et profond qui passe nettement au-delà de la simple tenue d’un concert.
Il n’y a pourtant rien à redire sur la qualité et la précision musicale des interprètes, qu’ils aient entre les mains un instrument ou un micro. Isolée, cette dimension du concert pourrait même sans aucune difficulté donner lieu à une représentation à part entière. Les performances vocales de Brice Hillairet et Anthéa Chauvière traduisent une générosité folle et un talent indéniable pour le chant et l’interprétation, piliers de ce spectacle auxquels contribuent largement les musiciens magnétiques qui les entourent.
Mais c’est dans la théâtralité avec laquelle est construite cette pièce, qu’Hedwig and the Angry Inch finit par nous toucher en plein cœur. Toute perspective du show mise à part, la protagoniste dissémine peu à peu des morceaux de son histoire personnelle et, sous couvert d’un humour parfois trash qui emprunte au franc-parler de l’art du drag, s’ouvre au public présent et se met à nu jusqu’à s’écorcher vive, comme dans une thérapie qui se tiendrait malgré elle.
Ainsi Hedwig se confie sans détour. Sur ses premiers émois homosexuels avec un sergent américain au pied du mur de Berlin. Sur son changement de sexe forcé et bâclé qui lui coûtera son pénis dont elle gardera quelques centimètres – le fameux Angry Inch. Sur la promesse de liberté que lui offrait cette opération ratée, qu’elle regrettera quelques mois plus tard alors que son sergent l’abandonne au fin fond des États-Unis et que sa ville natale est réunifiée. Sur sa tentative de reconstruction dans l’ombre d’une vedette du rock dont elle est persuadée d’avoir bâti la carrière. Sur les efforts fournis pour briller en dépit de tout cela et qui la mènent jusqu’à nous.
Au fil de ce récit, les traits d’Hedwig et de son interprète Brice Hillairet se confondent, jouant sur la corde sensible de l’identification. La justesse et l’authenticité du jeu aidant, on se prend d’affection pour l’un comme pour l’autre, ne sachant plus si l’on assiste à un concert, à un drag show, ou à du théâtre monté de toutes pièces qu’il faudrait voir avec toute la distance que cela implique. Reste qu’Hedwig and the Angry Inch est une véritable bulle d’énergie cathartique, portée par une équipe sans conteste dévouée à cette forme coup de cœur qui convainc sans aucune difficulté.
Hedwig and The Angry Inch
Création française 2023
Crédits
Livret John Cameron Mitchell / Musiques & Lyrics Stephen Trask / Adaptation Brice Hillairet et Dominique Guillo / Mise en scène Dominique Guillo / Avec Brice Hillairet, Anthéa Chauvière, The Angry Inch : Louis Buisset (guitare) Tonda Holub (basse) Lucie Wendremaire (batterie) Raphaël Sanchez (piano) / Assistant mise en scène Grégory Juppin / Direction musicale et vocale Raphaël Sanchez / Création lumière Jacques Rouveyrollis / Conception sonore Christophe Yvernault / Costumes Jackie Tadeoni / Coiffures & maquillages Audrey Borca
Tournée
- Le 1er mars 2025 : L’Autre Scène Vedène avec L’Opéra Grand Avignon
- Le 8 mars 2025 – Théâtre Toursky Marseille