Le regard de Camille Mutel est affirmé, bienveillant ou effrayant, mais sincère à tout instant. Ce n’est pas ce regard que l’on demande aux interprètes, celui qui se perd vers un point d’horizon, feignant une adresse au public qui voudrait englober chaque spectateur dans un tout. Au contraire, Camille Mutel prend le temps, recherche cet échange avec chacune et chacun, et s’en nourrit pour mener à bien son cérémonial qu’elle est pourtant seule, au plateau, à porter.
Cette communion, par ailleurs facilitée par une jauge réduite qui met au cœur du projet la proximité entre l’artiste et le public, se met en place au fil d’une lente progression, dans une ode à la douceur qui cache malgré tout un propos percutant. Tout l’équilibre de Not I se trouve précisément dans cette balance entre l’apparente retenue de la forme, du mouvement et du son, et la symbolique parfois violente, en tout cas interrogatrice, du rapport de l’humain à l’animal, ligne directrice de ce premier volet d’une future quadrilogie.
L’inspiration nipponne ne fait aucun doute dans cette recherche d’harmonie. Au plateau, Camille Mutel lui donne même une dimension presque matérialiste, jouant justement de cette balance avec les éléments qui l’entourent, comme pour trouver son propre équilibre dans le déroulé de son rituel. Mais son interprétation, modulée par une vision qui tire davantage sur des repères occidentaux, lui donne une lecture accessible qui, bien qu’essentiellement dans la suggestion et la métaphore, entre directement en écho avec les spectateurs.
Nous imposant peu à peu un rythme qui lui est propre, la chorégraphe et interprète n’en oublie pas toute la violence du monde dont elle s’inspire. Elle conçoit en ce sens des images presque arrêtées et des gestes au développement quasi imperceptible, auxquelles elle met elle-même un terme par quelques fulgurances qui nous rappellent, le temps d’un instant hors de cette bulle du sensible, à la brutalité du monde.
Au-delà de l’indéniable apaisement que nous procure Not I, cette pièce, qui se définit difficilement par les termes traditionnels des genres scéniques, est de toute évidence une performance. Celle d’une artiste qui, par son regard sans feinte, crée un rapport horizontal entre le plateau et le public, dans une relation qui la porte et l’alimente au fil de cette cérémonie presque spirituelle.