Avec “Negar”, Marie-Ève Signeyrole déplace l’opéra

Pour cette première version française, après une création au Deutsche Oper Berlin en 2022, Marie-Ève Signeyrole investit l’Opéra Comédie de Montpellier. Dans Negar, la metteuse en scène signe une ode à la liberté en déconstruisant les codes de l’opéra traditionnel.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Opéra Orchestre National Montpellier
3 mn de lecture
© Marc Ginot

On aurait presque pu ne pas entrer par la grande porte, ne pas passer par le prestigieux parvis de l’Opéra Comédie et lui préférer un passage dérobé, secret, caché. Pour rejoindre les personnages de sa pièce Negar, Marie-Ève Signeyrole invite les spectateurs à la clandestinité. “Placement libre”, indiquent les billets, et pour cause : c’est seulement après avoir arpenté les couloirs de l’opéra que les spectateurs pénètrent, sur le plateau même, dans un lieu qui fleure l’illégalité, la résistance, la liberté. Ici un concert a lieu, comme une communion entre celles et ceux venus trouver une respiration dans un Iran répressif et liberticide. Tandis que les accès aux deux gradins qui se font face nous sont encore interdits, deux grands écrans diffusent en direct le visage de Shirin, perdue dans cette foule, revenue dans sa ville natale après un long exil.

Dans Negar, la metteuse en scène déplace tout, littéralement. Non contente de réinventer le rapport scène-salle de la tradition opératique, elle développe sa pièce à mi-chemin entre l’immersion théâtrale, le travail documentaire et la réalisation de cinéma, proposant une multitude de perspectives et de points de vue. Transformant l’espace de jeu en un plateau de tournage en direct, Marie-Ève Signeyrole parvient à jouer sur tous les tableaux, de l’intime au visible, en proposant des plans à l’esthétique particulièrement soignée qui construisent une réalisation sensible et réussie. De cette manière, elle donne une ampleur toute particulière à son récit, qui se déroule dans une fluidité relativement efficace.

Au plateau, les interprètes comme les techniciens participent en effet à un ballet tiré au cordeau, qui place au cœur du dispositif ceux qui y sont généralement invisibles, comme les régisseurs ou les cadreurs. Dans la structure de sa mise en scène comme dans son esthétique, Marie-Ève Signeyrole signe un travail particulièrement pertinent avec son propos, au même titre que les compositions de Keyvan Chemirani. Basculant du registre lyrique aux traditions musicales persanes, la partition de Negar participe elle aussi à un déplacement des perceptions et met en écho la rigueur du classicisme et la ferveur du spirituel. Au-delà de son sujet particulièrement puissant, cette pièce ressort comme un bijou minutieusement taillé au jeu duquel on se prend sans difficulté.

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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