Le public le plus passionné connaît peut-être déjà le podcast Tous danseurs lancé par Dorothée de Cabissole et qui compte déjà pas loin de 200 épisodes. Depuis début novembre, l’aventure se complète avec un livre éponyme – un beau livre – qui se lit autant comme une déclaration d’amour à la pratique de la danse que comme un répertoire foisonnant de ce qui fait la danse d’hier, d’aujourd’hui et de demain. À travers une trentaine de portraits d’artistes, quelques anecdotes, autant de citations et des références de tous horizons, c’est l’esquisse d’une certaine mémoire de cette pratique qui se dessine, par le regard de celles et ceux qui en sont les symboles.
Dans la préface qu’il signe pour ce livre, Angelin Preljocaj rappelle toute la nécessité de ce travail de mémoire. La danse, rappelle-t-il, n’a fait son entrée à l’Académie des Beaux-Arts qu’en 2018, alors que sa pratique remonte à la nuit des temps. Parmi les causes identifiées de ce défaut de mémoire, l’approche même du travail de la chorégraphie – qui a laissé peu de traces pérennes à travers les siècles – ressort comme une évidence. Ce n’est qu’avec l’apparition des ballets, et avec eux la nécessité de l’écriture du corps, que nous pouvons oser un regard vers l’histoire de la danse de façon certaine. Depuis, le travail de documentation et les outils à la disposition des artistes ayant amplement évolué, il est devenu de plus en plus évident de garder une trace indélébile de cet historique. Avec la photographie, les enregistrements audio puis vidéo, et désormais au travers des innombrables objectifs qui nous entourent et à l’aide des réseaux sociaux, ce qui nécessitait une forme d’archéologie est devenu un réflexe.
Depuis plusieurs années, la question du répertoire fait par ailleurs partie intégrante des programmations de danse sur la scène internationale, à l’image du festival Montpellier Danse qui orientait sa dernière édition autour de la mémoire et de la création. En poursuivant la diffusion de spectacles conçus il y a des années, voire des décennies, ou en facilitant la reprise de pièces associées au répertoire d’un artiste, les programmateurs contribuent précisément à la mémoire commune d’un art longtemps considéré comme opaque, notamment du fait de cette transmission orale, presque secrète, qui le caractérise.
Au travers de son livre Tous danseurs, et au fil de la trentaine de portraits qu’elle dresse au gré de ses rencontres avec des artistes de tous bords, Dorothée de Cabissole prend justement le contre-pied de cette tradition – pas totalement volontaire – du silence. Laissant libre cours aux paroles d’interprètes et chorégraphes aux inspirations et pratiques variées, l’autrice tire un fil qui s’étend de la danse classique jusqu’à l’électro, dans une grande fresque qui tend davantage vers le portrait sensible – de par les confessions et partages d’expériences – d’une pratique aux multiples entrées.
Outil de familiarisation pour amateurs curieux ou livre d’entretiens pour esthètes passionnés, Tous danseurs est de toute évidence conçu pour quiconque souhaitera s’y plonger, sans forme d’exclusion. Rendre accessible une pratique encore trop souvent élitiste en laissant s’exprimer celles et ceux qui en font l’actualité, voilà en tout cas une mission menée à bien avec ce beau livre édité chez Marabout et disponible depuis le 2 novembre.