Angelin Preljocaj, un temps pour chaque chose

Pour la soirée d’ouverture de sa 43e édition, le festival Montpellier Danse a offert l’écrin de l’Opéra Berlioz à l’un des artistes les plus réputés de sa génération, Angelin Preljocaj. À cette occasion, le chorégraphe a présenté trois pièces de sa conception, dont deux reprises – Annonciation et Noces – et une création intitulée Torpeur. Retour sur cette première soirée pleine de promesses.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Montpellier Danse
4 mn de lecture
Torpeur © JC Carbonne

Quelle entrée en matière plus pertinente, pour cette nouvelle édition du festival Montpellier Danse concoctée autour de la mémoire et de la création, qu’une soirée confiée au chorégraphe Angelin Preljocaj, précisément à la croisée d’hier et d’aujourd’hui ? Devant une salle comble au Corum de Montpellier, l’artiste invité a ainsi présenté trois pièces créées à différentes époques de sa carrière, dont une création tout juste sortie des studios, Torpeur. Au cours de la soirée, le public a ainsi été invité à traverser des temporalités bien différentes, dans l’approche du plateau qui se fait malgré elle témoin de son contexte originel, autant que dans l’écriture chorégraphique qui se joue précisément du temps.

Car si rien ne destinait au premier abord à regrouper ces trois pièces sous la forme d’un triptyque, c’est précisément cet assemblage qui nous apporte une lecture inédite du travail de Preljocaj, et par là-même le constat d’une certaine évolution du travail du corps au fil des décennies. De la plus ancienne de ses créations présentées ici, à savoir Noces (1989), on retient en effet une recherche de synchronisation quasi intégrale, dans une approche presque académique de la danse qui emprunte aussi bien au ballet qu’à la comédie musicale et clôture comme une fête, passablement funeste, tout le parcours de la soirée initié par Annonciation (1995).

En guise d’introduction, c’est alors déjà un trait d’union temporel qui s’établit dans la conception de ce duo féminin. Tandis que Noces évolue dans une écriture relativement concrète bien que minimaliste, Annonciation va davantage chercher dans l’abstraction, dans l’intime, dans le ressenti, et nous présente au plateau une conversation chorégraphique qui tient autant de l’humain que du divin. Ici, la synchronisation se fait à peine plus rare, mais elle est surtout pleine de sens. Exit l’effet de masse voulant généraliser les images perçues dans Noces, elle prend la forme du mimétisme, de la transmission et de l’empathie, dans un doux préliminaire à ce qu’Angelin Preljocaj crée en 2023.

Torpeur s’engage en prenant presque le contre-pied de Noces, assumant d’emblée la dynamique d’ensemble qui ne va pas tarder à évoluer. Dans une image sublime de corps virevoltants, les douze interprètes nous plongent immédiatement dans une chorégraphie à grand spectacle avant de donner sens au titre de la création. En groupe, en trio ou en solo, les corps et les mouvements se dessinent, s’assemblent et se défont dans une succession de tableaux et d’esthétiques. Ainsi s’impose peu à peu la patte du chorégraphe, dans un travail de la temporalité qui se lit à bien des niveaux.


Prendre le temps, l’étirer, le modifier, l’accepter, devient le leitmotiv de la soirée. Il ne s’agit plus d’époques de création, mais bien d’une écriture des corps qui réinterroge la linéarité et le rythme de la danse que l’on attend souvent fluide. Or dans les trois pièces présentées, c’est précisément le corps qui semble donner l’impulsion au son et à la lumière, par ailleurs résultats d’un excellent travail de conception, et participant d’un temps qui s’assume comme saccadé, haletant, humain.

Tandis que la question de la reprise face à la création se pose comme problématique de ce 43e Montpellier Danse, le festival fait donc le choix plus qu’évident d’une soirée qui concilie les deux camps, et nous donne ainsi l’opportunité de (re)découvrir le travail d’Angelin Preljocaj, lui-même indissociable de ce sujet, entre répertoire et innovation.

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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