Lettre ouverte à Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture

Thibault Loucheux-Legendre  - Rédacteur en chef / Critique d'art
15 mn de lecture

Le comédien Arnaud Agnel a partagé cette lettre ouverte sur les réseaux sociaux à l’attention de Madame Roselyne Bachelot, Ministre de la Culture. Avec son accord, nous vous la partageons ici :

Madame la Ministre,

Comme un grand nombre de mes camarades des secteurs artistiques et culturels, je suis, en ce moment, à chacune des interventions d’une autorité décisionnaire de notre Pays – que ce soit le Président de la République, le Premier Ministre ou vous-même – à l’affût du moindre geste de votre part en faveur de nos activités. Et le moins que nous puissions dire, Madame la Ministre, c’est que depuis quelques semaines, nous nous sentons, nous, gens de la Culture et de l’Art, totalement abandonnés. Vos discours, flous, anxiogènes, nous minent à chaque fois un peu plus le moral et ne nous laissent, je vous l’avoue, que de sombres perspectives.

Soyons clairs, Madame la Ministre, je comprends votre soucis de préserver la santé de nos/vos concitoyens. Je pense que vos positions ne sont simples ni à prendre, ni à tenir, mais vous avez fait le choix, dans vos vies, vous, gens de pouvoir, d’être au cœur des décisions, et ces difficultés que vous rencontrez font partie, quelque part, de vos « métiers. ».


Si j’étais sarcastique, je pourrais même ajouter cette interrogative : mais n’est-ce pas le rôle-même des élus de tout faire pour préserver la sécurité et la bonne santé de leurs concitoyens ?!

Vous dites vouloir préserver notre santé. C’est bien aimable à vous. Je vous en suis gré. Je ne peux au demeurant que regretter, Madame la Ministre, qu’à chacune de vos interventions, seule la santé physique soit évoquée mais qu’à aucun moment, vous ne parliez de la santé psychologique, ni ne mettiez en place des mesures en sa faveur.

La situation actuelle est, vous le savez, catastrophique. Et c’est dans un moment tel que celui-ci que les métiers qui sont les nôtres devraient, je crois, être mis en avant et soutenus plutôt que laissés dans l’ombre. Car, vous ne le savez que trop, nous sommes, nous autres, les artistes, les médecins de l’âme, et le cœur même de nos professions est bien de soigner de ses maux le public : par le rire, les larmes, la peur, la joie… bref, les émotions en tous genres.

« Quand on cède à la peur du mal, on ressent déjà le mal de la peur ». Beaumarchais, Figaro, le Barbier de Séville… 1775 !

Madame la Ministre, vous aimez trop l’Art et la Culture pour ne pas connaître l’importance de la valeur cathartique que les métiers qui constituent ces secteurs représente. Et nous anéantir, comme vous, gouvernants, êtes en train de le faire, est terrible. Catastrophique. Et même « tragique ! », oui, pour reprendre le mot que vous avez si justement employé hier soir dans l’émission de Laurent Ruquier « ON EST PRESQUE EN DIRECT ».

Oui, Madame la Ministre, ce que nous vivons en ce moment est tragique. Pour nous, acteurs au sens large de ces milieux, mais aussi pour les concitoyens. Et pour ce que nous défendons de notre manière de vivre. Et aussi pour la santé psychique et psychologique de tous.

Nous avons, Madame la Ministre, besoin de soupapes !
Ces soupapes passent par l’Art.
Ces soupapes passent par la Culture.
Ces soupapes passent par le lien au public.

Dans son discours du 28 octobre dernier, Le Président de la République n’a nullement mentionné le terme Culture, (cela a d’ailleurs fait l’objet d’une lettre remarquable d’Ariane Ascaride) et jeudi dernier, lors de sa conférence de presse de mi-confinement, le Premier Ministre ne s’est pas non plus montré beaucoup plus touché par notre souffrance que le Président de la République 15 jours avant lui. Il a vaguement évoqué votre travail en faveur de la réouverture – peut-être – des librairies au 1er décembre, mais franchement, la limpidité de ses propos était aussi claire qu’une purée de pois cassés. Et je ne vous le cache pas, Madame la Ministre, je me suis même demandé s’il sait bien, Monsieur Castex, que nous existons et que nous sommes utiles au bon fonctionnement d’une société…

Madame la Ministre, puisque j’ai évoqué votre passage, hier soir, à la télévision, je vais continuer à développer mon argumentaire en ne m’appuyant exclusivement que sur vos propos, sans les travestir, et avec l’espoir que vous entendiez ma parole qui est, je crois, celle de beaucoup. Vous avez redit hier soir à la télévision qu’il y a « 650 000 personnes qui vivent de la Culture dans notre Pays »… 650 000 personnes ! Sans compter le nombre de personnes qui en vivent de manière « satellitaire », j’entends par là les gens qui travaillent dans les bars, les restaurants, les librairies, etc… et, évidemment, le public, qui, en consommant nos services, se nourrit l’âme et l’esprit !

Tous, nous sommes mis, actuellement, Madame la Ministre, sous une chape de plomb anxiogène. Nous ne pouvons plus, en ce moment, Madame la Ministre, respirer. Et je vous le dis – non comme une menace, mais juste parce que je sens battre le coeur de notre Pays – si rien ne change, ça va véritablement exploser. Les « non-essentiels » sauront vous rappeler qu’ils existent et deviendront, croyez-le, Madame la Ministre, un problème, pour vous, bien essentiel à gérer. Vous faites mine de ne pas l’entendre, mais ça va exploser. Les gens souffrent, une colère sourde monte de la part de tous les corps de métier, et si vous continuez dans cette direction, une révolte populaire va finir par naître, et vous ne contrôlerez plus rien. Alors, faites ce qu’il faut pour que cela n’arrive pas puisque vous pouvez le faire.

Rouvrez les librairies, rouvrez les salles de spectacles, laissez-nous travailler !

Concernant les salles de spectacle, justement, vous avez redit hier soir tout ce que nous savons et disons, nous, professionnels de ce milieu depuis déjà longtemps… Textuellement, je vous cite : « Il n’y a pas de problème dans les salles de théâtre, ou des salles de spectacle, ou de concert elles-mêmes. La sécurité sanitaire est arrivée, on l’a constatée : il n’y a pas eu de clusters. ».
Il n’y a pas eu de clusters !

Ce sont vos mots, Madame la Ministre.

Alors, la question se pose : puisqu’il n’y a pas de problème, puisque les salles de spectacles ne sont pas des nids à clusters, pourquoi les laisser fermées là où les entreprises privées ou publiques, les établissements scolaires ou les centres commerciaux qui eux, en sont, des nids à clusters, restent ouverts ? Vous répondez : « Comment voulez-vous vérifier le confinement si vous avez 40 000 personnes qui bougent dans Paris? C’est ça le problème des salles de spectacle. Il n’y a pas de problème dans les salles. Il y a des problèmes autour. »

A cela, Madame la Ministre, je peux vous rétorquer deux choses :
1 – Il y a bien, dans Paris, chaque jour, des milliers de personnes qui continuent à se déplacer pour travailler, et sans doute bien plus que 40000… Non ? Et ces personnes-là, ça ne pose pas de problème de respect de confinement ou que sais-je ? Et au titre de quoi certains auraient-ils l’autorisation d’être « déconfinés » et d’autres devraient-ils, comme nous, Artistes, rester assignés à résidence ? Car ils sont « essentiels »? Mais comment classifiez-vous ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas ? Madame la Ministre, la Culture et l’Art ne sont pas essentiels ? Et ne me parlez pas de maintien de l’économie car vous savez très bien le poids économique que représente la Culture en France. Vos arguments, Madame la Ministre, de circulation de 40000 personnes ne tiennent pas la route, vous le savez. Et mon argument d’un peuple qui vit sereinement grâce à une bonne santé psychique tient, lui, la route, vous le savez aussi !
2 – Il n’y a pas que Paris en France ! Et des milliers de salles partout sur le territoire pourraient ouvrir au 1er décembre sans que cela n’engendre un mouvement de foule de près de 40 000 personnes… Pourquoi priver, donc, les salles de spectacles de petites villes ou villes moyennes d’être ouverts et couper ainsi toute vie sociale partout ?

Madame la Ministre, jusqu’au 1er décembre, nous sommes confinés. D’accord. On n’y reviendra pas, on ne retrouvera pas le public, et je ne crois pas, honnêtement, que vous ferez un geste en notre faveur d’ici là. Mais puisque vous dites travailler – ou en tout cas vous croisez les doigts ! – pour la réouverture des librairies au 1er décembre, puisque vous dîtes également être, je vous cite « à l’affut de toutes les fenêtres qui s’ouvriront. » ajoutant « la perspective, c’est que nous rouvrirons les salles de théâtre, les cinémas, les salles de concert dès que cela sera possible ! » et puisqu’enfin, vous admettez, Madame la Ministre, que, je vous cite toujours « Les Français, dans leur immense majorité sont citoyens… 80% des Français – je dirais même 90% des Français – respectent les consignes, vont même au-delà. », alors je vous le demande solennellement, Madame la Ministre : Rouvrez les salles de spectacle au 1er décembre !

Vous ne pourrez peut-être pas le faire partout, peut-être que celles des grandes villes comme Paris devront rester fermées, peut-être que les grandes villes devront rester confinées et qu’il faudrait instaurer un couvre-feu dans les villes déconfinées, faute de mieux, mais par pitié, Madame la Ministre, faites un geste en notre faveur. Et que le 1er décembre, nous retrouvions tous l’essence de nos activités. Et que tous, enfin, puissions à nouveau faire société. Que les danseurs dansent. Que les comédiens jouent. Que les musiciens puissent faire des concerts. Et avec, et devant du public ! C’est le cœur même de nos métiers !

Nous ne vous demandons qu’une chose, Madame la Ministre : permettez-nous de travailler. Permettez-nous de retrouver le public. Montez au créneau. Tapez du poing sur la table. Enfourchez, à votre tour, le tigre ! Obtenez du Président de la République et du Premier Ministre qu’ils comprennent notre importance et permettent que nous vivions.

Et faites un geste !
Faites un geste en faveur de l’Art.
Faites un geste en faveur de la Culture.
Faites un geste en faveur des professionnels que nous sommes.
Faites un geste en faveur du public.
Permettez-nous de tous nous retrouver.
Avec du gel à l’entrée des salles s’il le faut.
Avec les masques portés durant toute la durée des spectacles s’il le faut.
Avec un siège de distanciation physique s’il le faut.
Avec un couvre-feu à 21h s’il le faut.
Tout ce que vous voulez.
Mais puisque c’est possible et puisqu’il n’y a pas de danger,
Puisque, dans les salles de spectacles il n’y a eu, je vous cite, aucun cluster, faites un geste fort.
Rouvrez les salles de spectacle au 1er décembre.
Et permettez-nous de retrouver le public.
Permettez au public de retrouver ses artistes.
Permettez- nous de retrouver un peu la France que nous aimons.
La France que nous défendons.
Celle en laquelle nous croyons.
Celle en laquelle nous espérons.
La France du partage.
De l’Humain.
Du rêve.
De la poésie.
De l’amour.
De la tolérance.
De l’espoir.

En un mot : la France qui unit les Hommes.
Et les réunit.
La France de l’Art et de la Culture.
C’est dans vos mains. A vous de jouer !

Je vous remercie, Madame la Ministre, pour l’attention que vous aurez portée à mon message et vous prie d’agréer l’expression de mes très respectueuses salutations.

Arnaud AGNEL

(Crédit Photo : BALTEL/SIPA)

Thibault Loucheux-Legendre

Après avoir étudié l'histoire et le cinéma, Thibault Loucheux-Legendre a travaillé au sein de différentes rédactions avant de lancer Snobinart et de se spécialiser dans la critique d'art contemporain. Il est également l'auteur de plusieurs romans.

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Par Thibault Loucheux-Legendre Rédacteur en chef / Critique d'art
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