Valérie Chevalier vous a confié une carte blanche pour célébrer vos 30 ans à l’Orchestre national de Montpellier. Qu’est-ce que cela représente pour vous ?
Un beau cadeau ! J’ai essayé sur cette carte blanche de ne pas ramener la couverture à moi. C’est important, parce que mon parcours est forcément lié à une politique artistique, et tout mettre autour de ma personne n’aurait pas été une démarche honnête. Donc je me suis appuyé directement sur les trois institutions : l’Orchestre, l’Opéra et le conservatoire. Avec mes collègues, on a essayé de construire un programme cohérent qui retrace un peu ce parcours. C’est un travail d’équipe. Et en plus, au niveau du bilan carbone je suis super, parce que tous mes collègues habitent pas très loin (rire) !
Comment vous avez sélectionné les morceaux qui seront interprétés ?
Il y a des morceaux qui ont été choisis par mes collègues. Par exemple, Anne Pagès-Boisset, qui est cheffe de chant, est beaucoup plus spécialisée que moi dans le répertoire avec voix. Et comme il y a Hwanyoo Lee, soprano, et Dominika Gajdzis, mezzo-soprano, elle m’a dit « pourquoi on ne ferait pas Mozart, un air de Così fan tutte ? ». Là, le violoncelle prend la place du baryton. Tout ça, c’est vraiment une collaboration étroite. Il y a deux pièces de mon souhait. Manuel De Falla parce que les chansons populaires sont un peu un clin d’œil à mes origines espagnoles, et les Bachianas Brasileiras de Villa Lobos, parce que c’est écrit pour un ensemble de huit violoncelles, et c’est une pièce que j’ai beaucoup jouée avec mes collègues de pupitre. Et pour le reste, par exemple Hwanyoo a proposé une mélodie coréenne magnifique. J’y ai retrouvé un peu l’univers musical de Miyazaki. C’est très chouette, beaucoup de découvertes ! On va faire du John Tavener aussi, violoncelle et soprano, pour montrer un peu les possibilités du violoncelle au niveau de la voix et tous les registres que ça peut couvrir… C’est vraiment un programme qu’on a construit ensemble.
On est sur un programme très éclectique, à la fois dans les temps et dans les espaces. C’est quelque chose qui vous ressemble ?
Ça me ressemble, et c’est vraiment la marque de fabrique de l’Orchestre depuis très longtemps. On couvre tous les répertoires, donc j’ai trouvé tout à fait naturel de proposer un programme qui montre l’éclectisme d’une programmation Opéra Orchestre.
Est-ce qu’il y a des morceaux que vous allez regretter de ne pas pouvoir jouer dans le cadre de cette carte blanche ?
Oui, les Akhmatova Songs dans leur intégralité. Normalement, ce sont six morceaux, là on n’en fera que trois. Je me suis d’abord intéressé à ce cycle par rapport à la relation entre la voix et le violoncelle. Le premier contact avec cette pièce a été auditif, je me suis dit « tiens, c’est vraiment intéressant ». Et puis après je me suis intéressé à cette pièce de façon plus précise, j’ai lu les poèmes, j’ai lu le contexte… Et c’est assez troublant par rapport à ce qu’on traverse actuellement. Mais il n’y a pas de message caché. Au départ c’était juste la musique, la relation entre le violoncelle et la voix. Certaines pièces comme ça se sont révélées à moi en m’y intéressant vraiment. Donc cette pièce, c’est vrai que dans d’autres circonstances, je pense qu’avec Hwanyoo on va essayer de la jouer dans son intégralité.
Le violoncelle a toujours été une évidence ?
La musique, oui. Et le violoncelle s’est imposé tout de suite comme le moyen. J’étais assez doué pour cet instrument, ça s’est fait naturellement. Je suis tombé sur un très bon professeur. Après, ce n’est jamais une évidence, parce que c’est un parcours semé d’embûches. Des fois, on en prend plein la tête quand même (rire) ! Il faut se relever, il faut continuer… Pour moi, le plus important, c’est la musique. L’outil en lui-même, le violoncelle, résiste parfois. C’est un instrument qui demande beaucoup d’investissement, beaucoup de temps, de pratique, il faut être assidu. Si on s’éloigne un peu du violoncelle, tout de suite il nous rappelle à l’ordre (rire). C’est un instrument merveilleux, bien sûr, mais ce qui m’a tout de suite intéressé dans le violoncelle, c’est la capacité à raconter des histoires. Je crois que les grands moments de mise en lumière que j’ai pu vivre ici, ça a été quand j’ai joué Don Quichotte en soliste, et Schelomo de Bloch. Ce sont des pièces qui ont vraiment un impact avec le public assez impressionnant. Parce que le violoncelle, avec ses tessitures et sa voix, permet de dire énormément de choses.
« Les plus beaux moments de scène, c’est les moments où on se fait oublier »
Vous parliez de l’impact de certaines pièces sur le public. Est-ce que cette attention, ces réactions du public, influencent votre manière de jouer, d’être présent sur scène ?
Bien sûr qu’il y a un contact extrêmement fort qui se fait avec le public. On ressent si ça fonctionne ou si ça ne fonctionne pas, parce qu’on est en situation d’hypersensibilité. Le moindre bruit peut être perturbant, ou un regard, un sourire peut nous conforter. Donc oui, c’est une interaction, bien sûr. Mais ce qu’on essaie de faire quand on est sur scène, ce n’est pas d’oublier la présence du public mais oublier l’égo. Le plus important, c’est cette alchimie que crée la musique. Finalement, quand on se retrouve musicien, on est juste le passage entre le papier, la pensée du compositeur et le public. Les plus beaux moments de scène que j’ai pu vivre, c’est les moments où on se fait oublier. Il y a vraiment la musique et les auditeurs. Ce sont des moments vraiment très chouettes.
Vous animez des ateliers, vous collaborez avec le conservatoire, votre fille fait partie de l’Orchestre et joue avec vous sur cette carte blanche… C’est important pour vous, la transmission ?
Oui, je pense que c’est aussi parce que j’ai été formé par des gens qui m’ont dit tout de suite « ce qu’on te transmet ne t’appartient pas ». Erwan Fauré le premier m’a fait comprendre cette importance : « Je tiens mon savoir de tel grand maître du grand violoncelle. Ce que je te dis c’est parce que moi je l’ai entendu ». J’ai rencontré Jean-Marie Gamard et Philippe Muller qui ont été formés par André Navarra, j’ai rencontré Janos Starker aux États-Unis qui a été formé par Popper, entre autres… Et tous ces grands artistes disent : « on te donne des informations, elles ne t’appartiennent pas ». Donc ça s’est imposé de façon tout à fait naturelle. Au conservatoire, j’ai des ateliers pour transmettre le métier d’orchestre. On a souvent une idée un peu romantique de l’orchestre, mais c’est une entreprise, c’est un travail très particulier. La transmission, je la pratique aussi dans le cadre d’ateliers amateurs, c’est un grand bonheur, on se retrouve autour de la musique et du violoncelle, et je dis les mêmes choses qui m’ont été transmises. Et pour Juliette, j’ai fait mon boulot de papa (rire) ! Étant musicien, je l’ai plutôt orientée vers le conservatoire. Mais si j’avais été peintre, peut-être que mes enfants auraient été aux Beaux-Arts. Notre grande fille Marianne a fait du piano et continue. Maintenant, elle fait du jazz et elle est conservatrice des musées nationaux, c’est cette pratique de la musique qui lui a donné une rigueur de travail, une capacité de mémorisation. Notre fils Louis est en informatique musicale car il n’était pas intéressé par le côté artisan. Et pour Juliette, ça a été son choix. Enfin, son choix, non, puisqu’il y a une audition, ensuite un concours… Ce sont les autres qui décident !
Recueilli par Peter Avondo