La bohème n’est pas uniquement cette vie d’insouciance que l’on s’imagine aisément en marge d’une société embourgeoisée. C’est avant tout la précarité d’artistes qui attendent le succès sous les mansardes parisiennes, glaciales en hiver à défaut d’avoir les moyens de se chauffer. Dans l’opéra composé par Puccini, c’est précisément à cette population que le premier rôle est attribué, comme en opposition au milieu opératique lui-même, parfait exemple de la persistance de la hiérarchisation sociale et des fossés qui séparent les uns des autres. Il y a donc déjà, dans l’écriture même de l’œuvre musicale et de son livret, une volonté de mettre en avant non pas des héros ou des héroïnes qui se distingueraient par un destin hors du commun, mais des personnages tirés du quotidien, presque interchangeables dans leur normalité.
Cet anti-héroïsme, Frédéric Roels en prend bonne note lorsqu’il conçoit sa mise en scène de La Bohème. Aidé en cela par le contexte dans lequel prend vie sa création, le directeur de l’Opéra Grand Avignon opte pour une scénographie de la sobriété et du symbole. En effet, c’est en 2019, tandis que le bâtiment historique de la place de l’Horloge est fermé pour travaux, qu’il s’empare de la salle Confluence pour y placer son Paris XIXe siècle. Sans dispositif technique complexe à sa disposition, le metteur en scène se recentre alors sur la matière même du propos, lui cherchant un écho dans la pratique.
Dans cette économie, La Bohème fait ainsi ressortir toute la fragilité de ses personnages. Sans artifice pour leur venir en aide, c’est dans les rapports humains qu’elle se révèle tout à fait, entre fébrilité et puissance. Les décors en bois brut, qui concentrent les regards à la faveur de la perspective offerte par les fenêtres qui s’alignent au lointain, alimentent d’ailleurs une étrange sensation de huis clos, quand le monde semble au contraire vouloir s’ouvrir au-delà. Dans cet espace de jeu qui se défait de tout contexte, Frédéric Roels développe les quatre tableaux de Puccini sans en renier l’essence, n’oubliant ni l’amour, ni la mort, ni l’humour qui les ponctuent. Sans grandiloquence, le metteur en scène décale le regard du public vers une approche plus sensible de sa discipline, ce qui est réjouissant en soi.
La Bohème
Création 2019 – Opéra Grand Avignon
Opéra en quatre tableaux de Giacomo Puccini / Livret de Giacosa et Illica, d’après le roman Scènes de la vie de Bohème d’Henri Murger / Direction musicale Federico Santi / Chef de Chœur Alan Woodbridge / Responsable de la Maîtrise Florence Goyon-Pogemberg / Mise en scène Frédéric Roels / Décors / Costumes Lionel Lesire / Lumières Arnaud Viala / Assistanat à la mise en scène Nathalie Gendrot / Études musicales Thomas Palmer / Avec Gabrielle Philiponet, Diego Godoy, Charlotte Bonnet, Geoffroy Salvas, Mikhael Piccone, Dmitrii Grigorev, Yuri Kissin, Julien Desplantes, Saeïd Alkhouri, Alain Iltis, Frédéric Caussy, Chœur de l’Opéra Grand Avignon, Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon, Orchestre national Avignon-Provence