C’est dans un registre du sensible et de la perception que nous immerge Pierre Pontvianne avec œ. Mettant bout à bout des gestes et des tableaux – dont on sent bien que rien n’est gratuit, mais auxquels il semble, à cet instant, manquer quelques éléments –, le chorégraphe travaille dans un premier temps à créer une sorte d’habitude auprès du public, comme pour instaurer une base commune qui universalise la lecture de ce qui va suivre. Présentant d’abord les interprètes, face public, dont les corps et les visages apparaissent et disparaissent comme dans un rêve, puis construisant peu à peu un espace mental au sein duquel certains d’entre eux évoluent en solo, Pontvianne conçoit peu à peu le squelette d’un souvenir partagé.
Là se met en place une dynamique d’écriture particulièrement intelligente, qui donne à la fois sens à la chorégraphie et au propos. Au gré d’une boucle qui semble se répéter sans pour autant prendre une forme identique à chaque fois, Pierre Pontvianne joue avec l’attention du public et la met à l’épreuve grâce à un travail du détail qui se dévoile progressivement. Chacun à son rythme, les spectateurs pénètrent ainsi dans un univers à la fois sensible et ludique, où la modification d’un geste, l’intervention d’un nouveau corps, l’accélération ou le ralentissement contribuent à une lecture complémentaire de ce qu’on avait pourtant l’impression de connaître.
Comme un souvenir se délite, se modifie ou se résorbe avec le temps, œ nous plonge dans une expérience mémorielle qui prend vie minutieusement par les corps, mais également à travers les lumières de Victor Mandin et le son qui les accompagnent. Tout comme l’écriture dansée, les éléments techniques subissent d’infimes modulations qui, imperceptiblement, font évoluer la pièce vers sa lecture la plus globale.
En dépit de l’apparente redondance qui se fait fil rouge dans œ, Pierre Pontvianne parvient systématiquement à apporter sur scène des éléments qui invitent à la redécouverte et passent par-delà les évidences. En cela, il signe une création à l’écriture fine qui, loin des démonstrations à grand spectacle, implique à sa manière le public dans une approche douce et poétique de la chorégraphie, de celles qui ne peuvent s’apprécier que dans leur globalité.