« Cœur instamment dénudé », le cabaret psyché-délique de Lazare

Il y a tant de choses que l’on connaît, et il y a tout ce que l’on ignore. Dans Cœur instamment dénudé, l’auteur et metteur en scène Lazare se sert de l’un pour nous emmener vers l’autre, à travers une aventure théâtrale dynamique, spectaculaire et perturbante. Une pièce portée par des comédiens d’une grande énergie, à vous en faire perdre la notion du temps.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Théâtre des 13 vents
5 mn de lecture

Arriver dans la salle et affronter, dans une semi-obscurité, la montagne d’accessoires et de décors qui jonchent le plateau, voilà qui pose déjà les bases de cette pièce : bienvenue dans le monde de la démesure. Quelques instruments de musique sont posés à Jardin, un cerf trône, majestueux, au centre, et des estrades empilées sans stabilité apparente occupent l’espace à Cour. En fond de scène, un immense mur, comme l’arrière d’un décor de cinéma, agrémenté d’une descente d’escaliers digne des comédies musicales de Broadway recouverte d’un immense rideau rouge, achève de nous plonger dans un univers du spectacle, de la mise en scène, de ce que l’on veut bien nous montrer.

Dès les premiers instants, le public est plongé dans le récit, celui d’un conte ou d’une fable. En l’occurrence, c’est l’histoire de Psyché qui nous est présentée, telle qu’elle aurait été écrite à notre époque. Ado rebelle ou femme fatale, références pop culture à l’appui, sorties métathéâtrales, monde gouverné par les machines… l’auteur réunit dans ce texte une multitude d’univers qui, étrangement, trouvent un point de convergence pertinent dans cette pièce.

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Lazare et ses interprètes nous servent des extraits d’une puissante théâtralité, enchaînés comme des numéros de cabaret. À chaque saynète son lot d’extravagance et de dramaturgie qui fait avancer le propos et l’augmente, montrant au-delà du mythe une partie de ses conséquences. Chacun de ces passages est intense et rapide, provoquant parfois une certaine frustration, mais systématiquement au service d’un équilibre global. Avec des effets scéniques qui tiennent autant du grand spectacle visuel que du bricolage, le metteur en scène instaure une ambiance bon enfant autour de ce drame définitivement moderne.

Dans Cœur instamment dénudé, le cabaret ne se manifeste pas que dans la scénographie, qui fait ressortir quelques trouvailles, notamment sur la lumière, dont aucune n’est gratuite. Le récit des comédiens se mêle aussi aux voix chantées des mêmes interprètes, qui nous offrent alors des instants d’une belle puissance et nous rappellent systématiquement au spectacle. Mention, par ailleurs, pour la composition et l’écriture de ces chansons qui répondent avec beaucoup de pertinence au reste de la pièce. La dynamique est intelligente, le rythme ne retombe pas et nous mène jusqu’au terme sans aucune difficulté.


Ce qui épate dans cette forme, c’est précisément la facilité qu’ont les genres à se mêler les uns aux autres, à s’alimenter, à se développer. Avec ses propres mots, Lazare parvient à porter jusqu’à nous une fable qui appartient à une époque pourtant lointaine. Il fait notamment le choix d’une proximité physique qui, bien qu’étonnante pour une forme aussi imposante, impose une attention particulière et une connexion évidente entre la salle et le plateau.

Et finalement, ce que nous raconte cette pièce n’est autre qu’une histoire d’amour contemporaine comme une autre. Il y a bien quelques références à l’écologie, au libéralisme, à la politique, mais le fond du sujet est bien plus simple, plus trivial. C’est d’ailleurs parce que le propos est si banal qu’on peut ainsi se permettre de le rendre excentrique. C’en est presque apaisant, ce théâtre qui n’a d’autre enjeu que le spectacle lui-même, lorsqu’il est bien mené.

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En définitive, Cœur instamment dénudé transforme le commun en inédit, à travers une forme qui ne laisse aucune place à l’ennui. Chacun des interprètes y va de son énergie propre au profit d’une dynamique d’ensemble à vous épuiser, avec une générosité sans feinte qui fait plaisir à vivre.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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TEXTE ET MISE EN SCENE
LAZARE
AVEC
ANNE BAUDOUX, AVA BAYA, LAURIE BELLANCA, ELLA BENOIT, PAUL FOUGERE, LOUIS JEFFROY, LOIC LE ROUX, VERONIKA SOBOLJEVSKI
COLLABORATION ARTISTIQUE
ANNE BAUDOUX
ASSISTANAT GENERAL ET CONSEIL CHOREGRAPHIQUE
MARION FAURE
ASSISTANAT MUSICAL
LAURIE BELLANCA
MUSIQUE
VITA NOVA
COORDONNEE PAR
LAURIE BELLANCA, VERONIKA SOBOLJEVSKI
CREATION SONORE
JONATHAN REIG
CREATION LUMIERE
KELIG LE BARS
SCENOGRAPHIE
OLIVIER BRICHET
COSTUMES
VIRGINIE GERVAISE
REGIE GENERALE
BRUNO BLEGER
REGIE PLATEAU
YOAN WEINTRAUB
REGIE LUMIERE
ALEXANDRE RATZ
HABILLAGE
MARION XARDEL