Une semaine à la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée

Initiée par le Théâtre des 13 vents et après avoir connu son premier opus en 2021, la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée est de retour depuis le 8 novembre. Pendant trois semaines, les quinze structures partenaires unissent leurs programmations à la rencontre d’artistes, de pratiques et d’écritures de la scène, comme un état des lieux artistique, politique et humain du bassin méditerranéen à l’instant T.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée
7 mn de lecture
La Truelle de Fabrice Melquiot © Martin Dutasta

C’est dans un contexte plus que jamais brûlant que s’est ouverte, le 8 novembre dernier, la deuxième édition de la Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée. Comme pour donner encore plus d’intensité à ce rendez-vous déjà ancré dans une démarche politique et artistique forte, c’est un mois après les premières attaques autour de la bande de Gaza que l’Opéra Comédie de Montpellier accueillait les premières notes de musique du concert qui lançait l’événement. Le spectacle vivant n’a jamais eu à prouver le lien très étroit avec le monde et la société dans lesquels il se développe. Mais cette dimension prend, dans ce cadre très précis, une ampleur bien plus importante : celle de la nécessité de résister, encore et toujours, et de ne surtout pas succomber à la facilité de la haine d’autrui.

C’est précisément avec cet objectif en tête que les actuels directeurs du CDN de Montpellier, Nathalie Garraud et Olivier Saccomano, ont souhaité engager les acteurs culturels du territoire dans une même direction. Mettant à contribution, pour ce deuxième opus, pas moins de 15 partenaires, le Théâtre des 13 vents impulse ainsi un temps dédié à l’échange, au partage, à la découverte et à l’entraide en rassemblant sur les scènes impliquées des artistes du bassin méditerranéen. De cette mer qui apparaît bien souvent comme une frontière, le but est d’y trouver précisément un foyer, ou en tout cas un espace d’interrogation, de réflexion, de création.

Pendant trois semaines, nous suivons de près cette Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée, marquée lors de ces premiers jours par quatre rendez-vous, que nous vous invitons à revivre ici…

… dans les cordes de Jasser Haj Youssef

© Gilles Crampes

Rendez-vous a été donné dans la prestigieuse salle à l’italienne de l’Opéra Comédie de Montpellier pour ouvrir cette nouvelle Biennale. Les discours de cérémonie passés, la scène est confiée au musicien tunisien Yasser Haj Youssef, venu présenter Réminiscence, une sélection de pièces pour viole d’amour de sa composition, qu’il a choisi de mêler au travail de Bach. Accompagné de Gaël Cadoux au piano et Simone Prattico à la batterie, il offre au public un concert teinté de jazz aux accents du Maghreb, le tout dans une douceur particulièrement apaisante et bienveillante au regard du contexte international dans lequel il prend vie. Rejoint également par l’orchestre national sous la direction d’Eduardo Strausser, Jasser Haj Youssef convie la soprano d’origine palestinienne Dima Bawab qui donne, par sa voix autant que par le symbole qu’elle représente, une dimension ô combien puissante à ce concert, lui-même symbole d’ouverture, d’harmonie et de vivre ensemble, augmenté par le chœur de l’Opéra dirigé par Noëlle Gény.

… dans les gestes de Nicolas Fayol

Au public de l’Agora de la danse de Montpellier, le nom de Nicolas Fayol n’a rien d’inconnu. Interprète fétiche pour Christian Rizzo, qui lui a notamment confié le solo en son lieu, le danseur propose avec Faire fleurir un spectacle de sa propre conception, accueilli dans le cadre de cette Biennale au studio Bagouet d’ICI-CCN par la saison Montpellier Danse. Dans cette pièce, Nicolas Fayol s’inspire de ses origines artistiques, le breakdance notamment, pour aller interroger par sa pratique une position qui va à l’encontre de la nature humaine : l’horizontalité. Contraint par une scénographie qui le maintient au sol, au mieux accroupi, le danseur se donne ainsi l’espace nécessaire pour rechercher, par le mouvement et la conscience du corps, une nouvelle manière de se mouvoir, de s’imposer, de s’émouvoir. Dans une disposition immersive, le public se retrouve à son niveau, partageant une certaine intimité commune avec cet être, vivant sans aucun doute, qui s’adapte à son environnement autant qu’il cherche à s’en extraire.

© Collectif Hinterland

… dans l’insouciance d’Emma Dante

© Rosellina Garbo

Ancienne artiste associée au Théâtre des 13 vents, Emma Dante n’est pas non plus inconnue du public montpelliérain. Son dernier passage en date sur le territoire a laissé des traces avec Misericordia, qui avait été chaleureusement salué. C’est ici avec Il Tango delle Capinere que la metteuse en scène sicilienne participe à cette deuxième Biennale des Arts de la Scène en Méditerranée. Seulement, si sa présence à la programmation du CDN apparaît comme une évidence, le travail de l’artiste étant régulièrement applaudi, ce spectacle-là n’est pas véritablement convaincant. On y retrouve pourtant toute la poésie visuelle, les émotions si douces, parfois amères, dont l’artiste aime parsemer ses créations. C’est par ailleurs une approche bienvenue lorsque, comme pour cette histoire, il s’agit de se plonger dans le passé d’un vieux couple désormais empli de nostalgie et dont les souvenirs refont surface les uns après les autres. Mais la concrétisation de ces idées peine à toucher, tant les tableaux qui se jouent frôlent avec le cliché ou révèlent une grande légèreté dans l’écriture.

… dans les mots de Fabrice Melquiot

Création en itinérance portée la saison dernière par le Théâtre Molière de Sète, La Truelle de Fabrice Melquiot trouve elle aussi toute sa place dans cette Biennale au carrefour de la Méditerranée. Récit personnel de l’auteur et metteur en scène mêlé à l’histoire de la mafia italienne, cette forme interprétée en solo par le comédien François Nadin est une pépite de sincérité, de générosité et, par extension, d’efficacité. Sur un plateau encombré comme sur le tournage d’une vieille série policière, l’interprète évolue avec un naturel remarquable, servant à qui veut l’entendre son histoire, ou plutôt celle de l’auteur, ou plutôt celle de l’Italie et du monde… Bref, une histoire que l’on s’attache à suivre sans effort, à l’image de l’interprétation de François Nadin, épatant de charisme et de nuances, qui nous embarque avec lui au fil de sa narration-confession illustrée. Cette histoire devait être racontée, cette pièce devait être créée… C’est chose faite, et c’est tant mieux !

© Martin Dutasta
Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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