“Sur l’autre rive”, Cyril Teste cherche le sens de la fête

Pour sa première soirée 2024, le Printemps des Comédiens accueillait l’un de ses artistes les plus fidèles. Venu présenter sa dernière pièce Sur l’autre rive (variation théâtrale) créée il y a quelques semaines à Bonlieu Scène nationale, Cyril Teste poursuit son travail de l’image au plateau.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu au Printemps des Comédiens
7 mn de lecture

Tout ce qui fait l’identité artistique de Cyril Teste est bien là. D’emblée, quatre écrans imposent au regard du public, immanquables à l’avant du plateau, des images filmées en direct d’une scène qui se déroule pourtant à quelques mètres de là, à la vue de tous ou presque. La caméra, encore tenue par l’un des comédiens pour en légitimer la présence dans un instant d’intimité, transmet une image tremblotante au cadrage hasardeux. Bien vite, pourtant, des cadreurs prennent le relai, donnant à la caméra non plus une subjectivité dramaturgique qui aurait pu alimenter une recherche de profondeur des personnages et de leurs relations, mais dans une approche plus impersonnelle destinée à faire le point sur des instants volés au milieu de la foule.

Car dans Sur l’autre rive – titre emprunté au premier acte de La Mouette qu’il créait en 2021 –, le metteur en scène donne vie à une grande fête de famille à laquelle il convie une trentaine de spectateurs-figurants venus rejoindre les interprètes et l’équipe technique. Sur scène, c’est ainsi une bonne quarantaine d’individus qui envahit rapidement l’espace et qui, pendant près de deux heures, tente tant bien que mal d’habiter un plateau qui s’alourdit rapidement sous le poids d’une toile de fond essentiellement statique. Le fouillis visuel provoqué par la foule, ainsi que la musique en sourdine qui semble ne jamais prendre fin, permettent d’isoler quelques scènes intimistes où s’échangent mots bas, complots et sentiments. Si la formule n’invente rien dans le travail du cinéma au théâtre, elle remplit tout de même sa fonction pendant un temps, faisant du contraste entre la scène et l’écran l’élément le plus intrigant de cette création.

Sur l’autre rive de Cyril Teste © Simon Gosselin

Mais une fois ce schéma installé et inlassablement répété, que raconte au juste Sur l’autre rive ? Inspiré par Platonov de Tchekhov, le metteur en scène cherche à creuser la nature et l’intrication des liens qui unissent ses personnages au plateau. Sans se conformer à un récit linéaire, il propose une salve d’instants prétendument volés qui, mis bout-à-bout, permettent au public d’assembler les pièces d’un puzzle qui ne le concerne pas et duquel il est essentiellement tenu à l’écart par le voyeurisme qu’implique le dispositif scénique. Dans cette mise en lumière de la nature humaine, la réalisation vidéo joue davantage sur l’affirmation que sur la suggestion, apportant par l’écran une vérité qui se voudrait absolue et qui laisse peu de place à l’interprétation. Ainsi, ce qui chez Tchekhov se révèle lentement et insidieusement s’impose chez Cyril Teste avec une évidence et une certitude qui tendent à banaliser l’emprise des uns sur les autres.

Sur l’autre rive (variation théâtrale) reprend sans mal les codes d’une fête de famille chaotique. Règlements de compte en aparté, rumeurs et révélations, mise à nu des caractères et des intentions à la faveur de l’alcool et de la nuit qui avance… Tout y est, jusqu’au rythme lancinant et infini de ces soirées auxquelles chacun est tenu de participer en arborant son sourire le plus sincère. Comme dans toute fête de famille, Cyril Teste parvient à de rares moments à captiver le regard, au détour d’une chanson ou d’une saynète qui suspend sporadiquement le temps. Mais dans sa rencontre entre théâtre et cinéma, le metteur en scène semble n’assumer ni l’un ni l’autre : la variation qu’il propose en diptyque de son film éponyme n’a malheureusement pas trouvé, pour l’heure, sa dimension théâtrale.


Sur l’autre rive (variation théâtrale)
Création 2024 – Bonlieu Scène Nationale
Vu au Printemps des Comédiens

Crédits

Avec : Vincent Berger, Olivia Corsini, Florent Dupuis, Katia Ferreira, Adrien Guiraud, Emilie Incerti Formentini, Mathias Labelle, Robin Lhuillier, Lou Martin-Fernet, Charles Morillon, Marc Prin, Pierre Timaitre, Haini Wang / Mise en scène : Cyril Teste / Traduction : Olivier Cadiot / Adaptation : Joanne Delachair et Cyril Teste / Collaboration artistique : Marion Pellissier / Assistanat à la mise en scène : Sylvère Santin / Dramaturgie : Leila Adham / Scénographie : Valérie Grall / Costumes : Isabelle Deffin, assistée de Noé Quilichini / Création lumière : Julien Boizard / Création vidéo : Mehdi Toutain-Lopez / Images originales : Nicolas Doremus et Christophe Gaultier / Musique originale : Nihil Bordures et Florent Dupuis / Ingénieur du son : Thibault Lamy / Direction technique : Julien Boizard / Régie générale : Simon André / Régie plateau : Simon André, Frédéric Plou ou Flora Villalard / Régie son : Nihil Bordures ou Thibault Lamy / Régie lumière : Julien Boizard ou Nicolas Joubert / Régie vidéo : Mehdi Toutain-Lopez, Baptiste Klein ou Pierric Sud / Cadreurs-opérateurs : Nicolas Doremus, Christophe Gaultier ou Marine Cerles

Tournée
  • du 30 mai au 1er juin 2024 : Printemps des Comédiens, Domaine d’O Montpellier (34)
  • du 27 septembre au 13 octobre 2024 : Théâtre Nanterre-Amandiers, centre dramatique national (92)
  • les 17 et 18 octobre 2024 : Espace des Arts, scène nationale de Chalon-sur-Saône (71)
  • du 8 au 16 novembre 2024 : Théâtre du Rond-Point, Paris (75)
  • 26 novembre 2024 : Equinoxe, scène nationale de Châteauroux (36)
  • les 5 et 6 décembre 2024 : Maison de la Culture d’Amiens, Pôle européen de création et de production (80)
  • du 11 au 13 décembre 2024 : Les Quinconces, scène nationale du Mans (72)
  • les 18 et 19 décembre 2024 : La Condition Publique, Roubaix, dans le cadre de la saison nomade de La rose des vents, Scène nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq (59)
  • du 15 au 17 janvier 2025 : Théâtre des Louvrais, Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise/Val d’Oise (91)
  • les 22 et 23 janvier 2025 : Comédie de Valence, centre dramatique national Drôme-Ardèche (26)
  • du 30 janvier au 8 février 2025 : Les Célestins, Théâtre de Lyon (69)
  • les 18 et 19 mars 2025 : Le Tandem, scène nationale, Douai (59)
  • du 26 au 28 mars 2025 : Théâtre Sénart, scène nationale (77)
Partager cet article
Avatar photo
Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
Suivre :
Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
Laisser un commentaire

Abonnez-vous au magazine Snobinart !