De quels moyens disposons-nous pour accélérer l’inclusivité dans le monde du spectacle vivant ? Tel était l’un des sujets des rencontres qui ont eu lieu à La Bulle Bleue cette semaine dans le cadre de l’anniversaire de la compagnie. Une problématique particulièrement vaste, mais qui fait ressortir de nombreuses interrogations et inquiétudes, chez les artistes comme auprès des responsables de structures.
« Le théâtre ne vaut que par la différence des corps et des esprits », assure d’ailleurs le directeur du Printemps des comédiens Jean Varela. Rappelant que l’histoire de l’art est riche d’artistes littéralement hors norme (Louis Béjart, Sarah Bernhardt, Paul Wittgenstein) et de personnages affublés de handicaps (Richard III, Cyrano de Bergerac), il fait pourtant le constat d’un monde du spectacle qui peine à élargir ses horizons. Pour Sophie Talayrach, coordinatrice du pôle théâtre au Conservatoire de Montpellier, le cinéma est beaucoup plus en avance que le théâtre sur les questions d’inclusion.
Face à cela, chacun essaie donc de faire avancer les choses à son échelle. Le conservatoire a par exemple imaginé une classe adaptée afin d’ouvrir une voie professionnelle reconnue à des comédiens et comédiennes en situation de handicap. Le Printemps des comédiens continue, depuis sa création, de programmer des artistes issus de compagnies telles que L’Autre Théâtre. Mais à entendre les premiers concernés, le problème profond de la non-inclusivité est bien plus complexe.
Au cours des échanges qui se tiennent à La Bulle Bleue, deux sujets sont particulièrement pointés du doigt. Le premier : la fâcheuse tendance des institutions françaises à tout vouloir mettre dans des cases. Qu’ils soient comédiens, techniciens, paysagistes ou cuisiniers (des domaines justement proposés par La Bulle Bleue), ces travailleurs sont systématiquement ramenés à leur condition de personnes handicapées, leur activité professionnelle se voyant reléguée au second plan. Une mauvaise habitude qui se ressent jusque dans cette rencontre, où les sujets du handicap et des structures spécialisées auraient pu faire place à des discussions à propos de démarches artistiques, de créations, de diffusion…
Autre nœud de la discorde, les termes employés par les uns et par les autres pour communiquer autour de ces activités. Dans un domaine où le langage est un outil essentiel, difficile de mettre tout le monde d’accord sur le vocabulaire à utiliser. Il y a ceux pour qui le handicap devient presque une force parce que sa mention inspire travail, persévérance et adaptabilité. Pour eux, assumer cette différence dans le verbe est d’une importance capitale. Et il y a ceux qui rêvent d’un effacement progressif des frontières entre un monde normé et un monde adapté, comme pour revenir à l’essentiel, à l’art avant tout.
De ce côté, La Bulle Bleue n’a pas chômé en dix ans d’existence. Associée saison après saison à des artistes reconnus dans le petit monde du spectacle vivant, la compagnie propose régulièrement des créations à part entière avec un objectif simple : se produire à travers le territoire, comme n’importe quelle autre troupe de théâtre en France. Bruno Geslin, Maguelone Vidal ou Brigitte Négro y ont déjà apporté leur contribution comme artistes associés. Un rôle qui revient cette saison à la compagnie Futur Immoral (issue du master exerce du CCN de Montpellier), à Nicolas Heredia de la compagnie La Vaste Entreprise, et à Marie Lamachère qui travaillera notamment sur La Tempête et Le Songe d’une nuit d’été de Shakespeare, une création à découvrir au Théâtre des 13 vents en ouverture du Printemps des comédiens 2023.
Mais que ces projets particulièrement réjouissants n’occultent pas tout le travail de l’ombre mené depuis des années. Il serait sans doute temps d’ouvrir des brèches dans les traditions, de ne plus se contenter de rendez-vous « dédiés » pour laisser jaillir les sensibilités artistiques et humaines. S’affranchir enfin du « qui » pour faire s’exprimer le « quoi ». Telle est l’ambition des professionnels aujourd’hui, qui espèrent voir les choses s’inverser, qui attendent de la culture qu’elle fasse enfin ce pas vers des artistes depuis trop longtemps mis de côté.