“Portrait de famille”, l’étincelante mythologie de Sivadier

Le spectre de Shakespeare semble encore planer au-dessus de Jean-François Sivadier, lui qui montait Othello deux ans plus tôt. Dans ce Portrait de famille qu’il dresse avec les élèves du Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique, le metteur en scène convoque à tour de bras les échos d’Hamlet, du Songe ou de Richard III, comme pour laisser toute sa place à la théâtralité de sa fresque mythologique. Composant avec l’énergie débordante de la jeunesse, Sivadier propose une relecture éclatante et jouissive de l’un des pans les plus sombres des récits grecs, de la pomme d’or à la vengeance d’Oreste.

Le plateau, recouvert d’un amalgame de cendres noires et d’éclats dorés, n’annonçait de toute façon rien de bon. Comme un oracle, la scénographie des étudiants de l’École des Arts Décoratifs impose sa prophétie : ici ont régné et règneront encore main dans la main le faste et la mort. Sur les ruines d’un récit mille fois entendu, Jean-François Sivadier développe ainsi sa propre version de l’histoire, un Portrait de famille où s’intriquent sans concession la tragédie épique du mythe et l’ironie décalée de sa réécriture. À la faveur d’une distribution particulièrement pertinente bien qu’inégale, le metteur en scène conçoit une création qui trouve aisément son équilibre malgré ses tendances à la caricature. Étirant les registres à l’extrême sans s’excuser de passer par le surjeu, il sert de cette manière une pièce d’une grande intensité.

Outre par l’intermédiaire de ses interprètes, qui font preuve d’une vigueur communicative éminemment jubilatoire, c’est à travers son écriture que Jean-François Sivadier se démarque. Car ce Portrait de famille se compose moins du récit de guerres antiques que du regard que l’on y porterait après des siècles d’histoire. À ce jeu, l’auteur et metteur en scène semble d’ailleurs éprouver un malin plaisir à s’amuser des ironies, des sous-entendus et des absurdités. Il déverse ainsi sans les nommer des pelletées de références qui viennent soutenir, en filigrane, une double lecture contemporaine et autocritique de son propos. Loin de toute morale et sans perdre de vue son histoire des Atrides, il entrouvre des portes sur notre époque, laissant au public le soin de les emprunter ou non.

En dépit de quelques tableaux épars qui gagneraient sans doute à plus de concision, ce Portrait de famille s’avère singulièrement réjouissant. Il donne lieu à un objet scénique et esthétique aussi cohérent qu’efficace, porté par une troupe qui carbure sensiblement à la passion. Avec cette création, Jean-François Sivadier offre en vérité un terrain de jeu rare à un théâtre qui réapprend à (se) faire plaisir. Il y a dans cette approche une étincelle de candeur qui, comme pour les artisans du Songe d’une nuit d’été, invite à renouer avec un art qui a encore le droit de ne pas se prendre au sérieux.

Portrait de famille, une histoire des Atrides
Création 2024 – Printemps des Comédiens