Dans « Othello », Sivadier fait rire au drame

Dans cette création de 2022, le metteur en scène Jean-François Sivadier s’attaque à Othello de Shakespeare et imagine une version qui se défait des contextes pour approcher l’humain, effaçant souvent la tragédie derrière les rires, dans une formule qui fonctionne essentiellement grâce aux interprètes qui la portent.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu avec le Domaine d'O
5 mn de lecture

Aucun doute, ni dans sa structure, ni dans le déroulé de l’action, ni même dans l’esprit de la culture populaire : Othello est bien une tragédie, comme savait si bien les écrire Shakespeare. Histoires d’amours, de sexe, de trahisons et de sang s’y mêlent avec une ingéniosité si propre au dramaturge anglais, et pourtant… Pourtant Jean-François Sivadier, en montant sa propre version de la pièce, fait le choix de délaisser une partie de cette essence, au profit d’une approche plus humaine, plus accessible peut-être aussi, reléguant à la toute fin la dimension purement tragique du texte.

Imaginé en deux temps séparés d’un entracte, l’Othello de Sivadier se lit presque comme deux pièces indépendantes qui ne seraient liées que par la récurrence de leurs personnages. Le metteur en scène engage une première partie durant laquelle il développe notamment le rôle de Iago, admirablement porté par Nicolas Bouchaud, et y assume une comédie – parfois grinçante – qui vient presque effacer le personnage éponyme de la pièce, pourtant talentueusement interprété par Adama Diop.

Devenu l’épicentre de l’attention du public aussi bien que de l’intrigue, Iago se dévoile peu à peu dans toute son (in)humanité. Jouant des références anachroniques à la pop culture, il prend par suggestion les traits d’un Joker chantant Queen. Il s’autorise ainsi à tout tourner en dérision, ou presque, gommant par là même une dimension de l’ordre des pièces-monde qui caractérisent l’essentiel de l’œuvre de Shakespeare.

Certes, la comédie ainsi mise sur le devant de la scène et assumée avec autant d’énergie nous donne à voir une nouvelle lecture d’Othello. Elle a le mérite de maintenir un certain régime d’attention durant les deux heures qui précèdent l’entracte, en dépit de son rythme qui s’essouffle malgré tout à mesure que la surprise fait place à l’attendu. Mais elle dissimule en arrière-plan une dimension plus profonde, qui ne finit par se révéler que dans un second temps.

Au retour en salle, le ton n’est plus à l’humour, ou plus tout à fait. Les visages se sont refermés, les blagues se font plus rares et laissent doucement place à une atmosphère qui s’appesantit… difficilement. Malgré l’évidence du glissement de la comédie vers les larmes, Sivadier paie ici les deux heures de conditionnement au rire, et la dimension tragique peine à s’affirmer. Elle y parvient cependant, et donne lieu à des instants d’une belle force qui, sans doute, arrivent un peu tard.

Portée par une distribution toute dévouée, la pièce trouve alors enfin un équilibre global dont elle manquait jusqu’alors, dans une scénographie qui tient davantage de l’abstraction des espaces et nous défait de toute lecture contextuelle. Comme souvent, c’est bien dans son ensemble qu’il faut approcher Othello dans cette mise en scène qui s’affranchit précisément de son cadre pour se concentrer sur l’humain qu’elle renferme.


Othello
Création 2022 – Le Quai – CDN Pays de la Loire
Vu avec le Domaine d’O à l’Opéra Comédie – Montpellier

Crédits

De William Shakespeare / Texte français Jean-Michel Déprats / Mise en scène Jean-François Sivadier / Collaboration artistique Nicolas Bouchaud, Véronique Timsit / Avec Cyril Bothorel, Nicolas Bouchaud, Stephen Butel, Adama Diop, Gulliver Hecq, Jisca Kalvanda, Emilie Lehuraux et la participation de Christian Tirole et Julien Le Moal / Scénographie Jean-François Sivadier, Christian Tirole et Virginie Gervaise / Lumière Philippe Berthomé, Jean-Jacques Beaudouin / Costumes Virginie Gervaise / Son Ève-Anne Joalland / Accessoires Julien Le Moal / Régisseuse, habilleuse Valérie de Champchesnel / Régisseur lumière Damien Caris / Coiffures Angélique Humeau / Maquillage Marthe Faucouit / Chef de chant Benjamin Laurent / Regard chorégraphique Johanne Saunier / Régie générale Guillaume Jargot / Régie lumière Jean-Jacques Beaudouin, Simon Léchappé / Création et régie son Ève-Anne Joalland / Régie plateau Christian Tirole / Assistante à la mise en scène et à la tournée /Véronique Timsit / Construction du décor Espace et Cie / Coiffures Angélique Humeau / Maquillage Marthe Faucouit / Chef de chant Benjamin Laurent / Regard chorégraphique Johanne Saunier / Régie générale Guillaume Jargot / Régie lumière Jean-Jacques Beaudouin, Simon Léchappé / Création et régie son Ève-Anne Joalland / Régie plateau Christian Tirole / Assistante à la mise en scène et à la tournée Véronique Timsit / Construction du décor Espace et Cie

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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