Dans « Othello », Sivadier fait rire au drame

Dans cette création de 2022, le metteur en scène Jean-François Sivadier s’attaque à Othello de Shakespeare et imagine une version qui se défait des contextes pour approcher l’humain, effaçant souvent la tragédie derrière les rires, dans une formule qui fonctionne essentiellement grâce aux interprètes qui la portent.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Domaine d'O
4 mn de lecture
© Jean-Louis Fernandez

Aucun doute, ni dans sa structure, ni dans le déroulé de l’action, ni même dans l’esprit de la culture populaire : Othello est bien une tragédie, comme savait si bien les écrire Shakespeare. Histoires d’amours, de sexe, de trahisons et de sang s’y mêlent avec une ingéniosité si propre au dramaturge anglais, et pourtant… Pourtant Jean-François Sivadier, en montant sa propre version de la pièce, fait le choix de délaisser une partie de cette essence, au profit d’une approche plus humaine, plus accessible peut-être aussi, reléguant à la toute fin la dimension purement tragique du texte.

Imaginé en deux temps séparés d’un entracte, l’Othello de Sivadier se lit presque comme deux pièces indépendantes qui ne seraient liées que par la récurrence de leurs personnages. Le metteur en scène engage une première partie durant laquelle il développe notamment le rôle de Iago, admirablement porté par Nicolas Bouchaud, et y assume une comédie – parfois grinçante – qui vient presque effacer le personnage éponyme de la pièce, pourtant talentueusement interprété par Adama Diop.

Devenu l’épicentre de l’attention du public aussi bien que de l’intrigue, Iago se dévoile peu à peu dans toute son (in)humanité. Jouant des références anachroniques à la pop culture, il prend par suggestion les traits d’un Joker chantant Queen. Il s’autorise ainsi à tout tourner en dérision, ou presque, gommant par là même une dimension de l’ordre des pièces-monde qui caractérisent l’essentiel de l’œuvre de Shakespeare.

Certes, la comédie ainsi mise sur le devant de la scène et assumée avec autant d’énergie nous donne à voir une nouvelle lecture d’Othello. Elle a le mérite de maintenir un certain régime d’attention durant les deux heures qui précèdent l’entracte, en dépit de son rythme qui s’essouffle malgré tout à mesure que la surprise fait place à l’attendu. Mais elle dissimule en arrière-plan une dimension plus profonde, qui ne finit par se révéler que dans un second temps.


Au retour en salle, le ton n’est plus à l’humour, ou plus tout à fait. Les visages se sont refermés, les blagues se font plus rares et laissent doucement place à une atmosphère qui s’appesantit… difficilement. Malgré l’évidence du glissement de la comédie vers les larmes, Sivadier paie ici les deux heures de conditionnement au rire, et la dimension tragique peine à s’affirmer. Elle y parvient cependant, et donne lieu à des instants d’une belle force qui, sans doute, arrivent un peu tard.

Portée par une distribution toute dévouée, la pièce trouve alors enfin un équilibre global dont elle manquait jusqu’alors, dans une scénographie qui tient davantage de l’abstraction des espaces et nous défait de toute lecture contextuelle. Comme souvent, c’est bien dans son ensemble qu’il faut approcher Othello dans cette mise en scène qui s’affranchit précisément de son cadre pour se concentrer sur l’humain qu’elle renferme.

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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