Une silhouette s’approche à reculons depuis le fond du plateau, apparaissant peu à peu dans la pénombre qui laisse deviner un justaucorps aussi noir que le cadre dans lequel il s’anime. Sous les pieds de l’interprète, un tapis reflète comme un miroir chacun de ses gestes. Émilie Labédan n’est déjà plus seule, son alter ego lui donnera la réplique durant toute la représentation.
Le public est comme plongé dans un univers à la Lewis Carroll. On aurait pu traverser malgré nous ce portail entre deux mondes pour nous retrouver là où se forment les illusions, où l’invisible se fait concret, où le fantasme devient réalité. À l’aide de quelques trouvailles aussi simples qu’ingénieuses, l’interprète parvient à révéler notre âme d’enfant en jouant avec ce que voient nos yeux, ou plutôt ce qu’on veut bien leur montrer. Le travail de la lumière est essentiel à ce projet, il a été mené avec minutie et alimente à merveille les effets désirés.
Mais l’ambiance qui s’instaure tandis que ce corps évolue n’a rien d’enfantin. Pesante par le son, pas tout à fait concret non plus et pourtant très pertinent, autant que par les gestes lents et suspendus de l’interprète, l’atmosphère trouve néanmoins un chemin vers une douce et sombre poésie. Toujours maintenus en état d’attente, les spectateurs se laissent transporter dans cet espace de l’irréel.
Émilie Labédan n’est jamais seule puisque son reflet l’accompagne à tout moment. Mais d’autres créatures, pas tout à fait tangibles, l’entourent également. Nous conviant à une immersion spirituelle qui ne dit pas vraiment son nom, elle partage le plateau avec des spectres – les siens ou ceux du vivant –, dont les formes varient et qui ouvrent à l’interprétation individuelle.
Elle en vient à donner une âme ectoplasmique à de simples tissus dans une fluidité qui émerveille. Même la fumée, matière ô combien difficile à maîtriser, occupe dans cette forme une place qui semble faite pour elle. Ainsi Émilie Labédan passe du théâtre de corps au théâtre d’objet, non sans une certaine idée de la métaphore que cela implique.
« I’m inspired by spiritism, ghosts, energies, sensations… »
« Je suis inspirée par le spiritisme, les fantômes, les énergies, le sensations… »
Et dans tout cela, que nous montre Mr. Splitfoot ? Beaucoup car finalement peu, c’est là la force de cette proposition. On se retrouve épaté d’avoir tant à imaginer face à une forme qui mise tout sur la suggestion, sur l’abstraction quasi totale. De l’humain à l’animal, du vivant à l’inanimé, du réel au fantastique, tout s’entremêle ici, davantage dans nos esprits que sur le plateau qui brille par son épurement.
On peut se demander ce que sont ces fantômes qui semblent vouloir se manifester à nous. On peut s’interroger sur l’appartenance de l’interprète à l’un ou l’autre de ces deux mondes. On peut penser que cette femme est finalement seule face à ses propres démons. Mais on peut surtout apprécier le travail artistique et technique de la compagnie La Canine pour cette création convaincante.
CONCEPTION, CHOREGRAPHIE ET INTERPRETATION EMILIE LABEDAN / AVEC LA PARTICIPATION DE ELVIRA MADRIGAL / COMPOSITION MUSICALE FLORENT PARIS / LUMIERES THOMAS LAIGLE / SCENOGRAPHIE ALIX BOILLOT / RECHERCHES COSTUMES SARAH LANGNER / REGARDS EXTERIEURS GARANCE PLESSIS-FRAISSARD, EMMANUELLE SANTOS / REGIE GENERALE ARTUR CANILLAS