« Peau d’âne – La fête est finie », des mots sur l’inceste

Pour sa nouvelle création au Théâtre Jean Vilar de Montpellier, Hélène Soulié prend à corps Peau d’âne pour en faire ressortir l’un de ses éléments les plus sombres, pourtant souvent traité avec légèreté : l’inceste entre un père et sa fille. Associée à Marie Dilasser à l’écriture, la metteuse en scène replace le conte au cœur de notre société, entre amertume, fantaisie et optimisme.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Théâtre Jean Vilar Montpellier
3 mn de lecture
© Marc Ginot

On se souvient du conte de Peau d’âne essentiellement par la version de Charles Perrault et par l’adaptation qu’en a fait Jacques Demy dans son film de 1970. On s’en souvient par ailleurs, comme beaucoup de contes, avec toute la douceur enfantine que l’on veut y associer au détriment de ce qui fait leur essence même. En s’attelant précisément à gratter le vernis nostalgique et enchanté de cette histoire, Hélène Soulié s’empare d’un sujet hautement nécessaire et néanmoins noyé sous les tabous : l’inceste.

Perruques trop parfaites vissées sur la tête et corps raidis dans un espace où seul le rouge contraste avec le plateau incolore, les personnages qui nous font face semblent tout droit sortis d’une boîte de jeu pour enfant. D’ailleurs, tout n’est qu’un jeu, ça l’a toujours été. Seulement, comme les stries qui tapissent le mur du salon, les règles évoluent imperceptiblement, glissant dangereusement vers un point de non-retour.

Confrontant à un même endroit l’emprise grandissante du père et la soumission effrayée de sa fille, Peau d’âne – La fête est finie prend des airs de reconstitution presque objective de l’indicible. Pourtant, sans se cacher derrière des métaphores trop abstraites – allant même parfois jusqu’à jouer de l’évidence –, le texte de Marie Dilasser va à l’essentiel : dire les maux.

La parole se fait ici tantôt lame aiguisée – vecteur de l’autorité paternelle à l’origine du crime –, tantôt outil de prise de conscience, et par extension de défense. Car pour Peau d’âne, comprendre ce qu’elle subit prend bien moins de temps qu’être capable de l’exprimer. Pour elle comme pour le public, la prononciation – enfin ! – du mot « inceste », jusque-là minutieusement tu, éclate comme une délivrance, comme un droit à être finalement entendu.


Le chemin aura été long. Il aura fallu faire appel à bien des figures imaginaires ou mémorielles pour toucher du doigt l’acceptation, pour que l’austérité laisse lentement place aux couleurs et à l’amusement. Et tandis que, de son côté, Peau d’âne se construit peu à peu une identité aux côtés des créatures fantaisistes qui l’accompagnent, son père s’apprête à subir la sentence qui, jusque-là, n’avait jamais été prononcée à son encontre dans aucune des versions du conte : la fête est finie.

Convoquant des références de l’ordre du commun tout en creusant le fond même du conte, Hélène Soulié replace Peau d’âne dans un contexte qui trouve incontestablement son écho. En dépit de quelques thématiques satellites qui amoindrissent la portée du propos et d’une approche du jeu qui gagnerait sans doute à plus de retenue à destination d’un public adulte, la metteuse en scène parvient à porter au plateau un sujet essentiel, comme en attestent les regards, les échanges et les applaudissements d’un public touché et conquis.

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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