Pauline Bayle joue l’authenticité contre les « Illusions perdues »

Dans cette pièce éponyme créée en 2020, Pauline Bayle adapte et met en scène le roman Illusions perdues d’Honoré de Balzac, l’un des plus conséquents de La Comédie humaine. De ce matériau complexe, elle imagine une pièce pour cinq interprètes lâchés sur un plateau aux airs de ring de boxe…

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Domaine d'O
4 mn de lecture
© Simon Gosselin

Qu’est-ce qui ne relie pas Illusions perdues de Balzac à notre société contemporaine ? C’est en substance la grande question qui s’impose en sortant de l’adaptation conçue par Pauline Bayle de ce long roman issu de La Comédie humaine, écrit donc il y a près de deux siècles. Sous le regard de la metteuse en scène, qui en fait ici une pièce à travers laquelle transparaît un amour profond pour le théâtre, le propos essentiel du récit et les rapports des personnages qui l’habitent nous éclatent au visage dans une évidente actualité. Et pour cause, sur ce dispositif en quadri-frontal qui ne laisse que peu d’issues aux interprètes, sous un plafond de lumières qui écrase l’espace de jeu sous son poids métaphorique, tout est mis à nu, à cru, dans une lutte qui oppose les apparences à la réalité.

Elle s’y amuse pourtant, Pauline Bayle, à nous faire croire ne serait-ce qu’un temps au jeu des illusions. Plateau d’abord resserré en frontal pour nous émerveiller d’un espace qui s’agrandit comme par magie, comédiens dissimulés dans le public pour provoquer la surprise de faux imprévus… Il n’est nul besoin de plus pour mettre en place le grand jeu, celui de la société parisienne du XIXe siècle auquel le public prendra part, qu’il le veuille ou non. Alors s’engagent les rapports de force, plus ou moins affichés, dans les méandres des faux-semblants, des promesses non tenues et des aspirations personnelles qui constituent un entrelacs de relations d’étiquette derrière lesquelles évoluent sournoisement les désirs de pouvoir, d’argent et de politique.

Le travail de la metteuse en scène s’avère par ailleurs particulièrement pertinent en ce sens. Prenant le parti d’un plateau où rien n’est caché, sous une lumière diffuse et sans ombre, Pauline Bayle révèle peu à peu le caractère insidieux de ce qui se trame dans les couloirs du monde. À ce jeu sans concession et sans effet à grand spectacle qui caractérise l’essentiel de la pièce, elle prend aussi le risque de mettre en lumière la justesse parfois inégale ou hésitante de ses interprètes. Ces aspérités apportent néanmoins un relief qui s’accueille avec bienveillance tant elles contribuent, à l’instar de ce tapis d’un blanc immaculé qui s’entache à vue d’œil, à faire tomber les apparences les unes après les autres.

Dans ce grand et long combat d’où personne ne sort jamais vainqueur et qui semble vouloir se répéter à l’infini, subsiste pourtant une part de rêve, de poésie. Dans Illusions perdues, le théâtre devient le dernier rempart de sincérité face à une société faite d’hypocrisie. Sur scène, la lumière se fait soudain chaude et belle quand doit se tenir le spectacle, ouvrant ponctuellement ces parenthèses comme des respirations d’une esthétique subtile et percutante. Avant que n’attaque à nouveau la violence sous-jacente d’un monde trop similaire au nôtre, le plaisir est saisissant face à cette chorégraphie collégiale presque tribale qui soulève la poussière, comme devant l’interprétation magnétique de Zoé Fauconnet sous les traits d’une jeune première à qui tout est promis.


En s’emparant de l’un des plus longs romans de la saga de Balzac, Pauline Bayle propose une adaptation qui donne un sens incontestable au titre de La Comédie humaine. Déployant ses Illusions perdues sous cette forme épurée bien que complexe, la metteuse en scène assure aussi son amour pour le théâtre, auquel elle donne une certaine authenticité, ô combien bienvenue !

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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