C’est un hommage, à n’en pas douter, un spectacle dédié aux femmes qui ont marqué les vies des quatre interprètes au plateau. C’est en tout cas ce que suggère la feuille de salle, mais l’écriture est en réalité plus vaste que ça. Dans Om(s) de ménage, Hamdi Dridi met en valeur ces êtres, tous genres confondus, qui triment jour après jour dans l’ombre sans jamais chercher la lumière qui semble pourtant les désirer. Ici les néons blancs et impersonnels jonchent le sol autour d’un espace délimité par des dizaines de serpillères, comme dans une inversion du commun, qui fait place nette pour que le spectacle ait lieu, pour qu’enfin soient vues et entendues ces personnes qui travaillent par-delà notre regard.
Les quatre corps investis comme des machines mettent en place la mécanique de gestes épuisants répétés inlassablement. Dans le silence – malheureusement relatif – de la salle, le moindre frottement, le moindre talon posé au sol s’impose comme une nouvelle étape franchie vers une routine aussi physique que morale. Chaque mouvement infime, capté par les micros sensibles dirigés vers le sol, trouve un fort écho dans les enceintes déjà emplies de bruits parasites qui plongent peu à peu le public vers une forme de transe rituelle. Comme pour asseoir l’aspect tribal de la chose, les percussions s’insinuent elles aussi au gré de la représentation et mènent artistes et spectateurs vers une forme d’abandon du machinal au profit de l’éclosion de l’humain.
Le détachement avec lequel Ewa Bielak, Maria Mikolajewska, Emmanuel de Almeida et Hamdi Dridi abordent la représentation inspire précisément cela : l’humain. Pleinement concentrés sur leur synchronisation de groupe sur des instants particulièrement intenses, les quatre artistes restent en toute conscience des interprètes au service d’une forme et portent un regard dévoué et attentif à leurs camarades lorsqu’ils ne sont pas eux-mêmes en mouvement. De cette manière se fait systématiquement le lien entre l’espace du spectacle, de l’expression artistique, et celui de leurs personnalités, de ces interprètes venus prendre plaisir à danser.
Arpentant ainsi des terrains qui leur sont chers, dans leur propos comme dans sa mise en œuvre, ils révèlent peu à peu une danse plus intime, plus ressentie, qui s’affranchit de la mécanique jusque-là martelée. Les percussions sont devenues prétexte à se libérer du quotidien de ces corps au travail, comme à l’apogée d’une parenthèse rêveuse rendue possible grâce à la scène, parenthèse qui devra néanmoins bien se refermer. Entre temps, Hamdi Dridi et ses acolytes auront bel et bien rendu hommage à ces femmes quelles qu’elles soient, comme à toutes ces personnes qu’on ne voit ou qu’on n’entend pas. Et si Om(s) de ménage souffre encore de quelques longueurs, l’écriture et la ligne artistique du chorégraphe s’y lit avec plaisir et ambition.