Impossible d’imaginer, sur le papier, à quoi va bien pouvoir ressembler Music All, ce spectacle sorti de nulle part. D’ailleurs, même dans les premières minutes de la pièce, rien n’est vraiment plus clair. Comme posés là et animés de quelques mouvements d’automates sur une musique électronique, les trois artistes vêtus de robes plus que vintage semblent camper des poupées trop longtemps oubliées dans une malle du grenier. Mais plus la musique s’affole, plus les personnages s’humanisent, se décoincent, se dégrippent ou se dérouillent… Alors peut commencer le music-hall.
Le music-hall, c’est cet endroit si particulier où tous les arts se confondent, s’enchainent et se superposent pour toujours maintenir le public en éveil. Et rien de ce que proposent les comédiens de Music All ne fait déshonneur à cet esprit. Aussi drôle que poétique, tant visuel que musical, parfois politique ou impertinent, c’est un numéro sans fin, sans filtre et sans filet durant lequel le temps file sans faiblir. Avec une nostalgie souvent enfantine et une énergie cabotine, les performances s’offrent au spectateur dans un univers qui tient autant de la féérie fantastique que de la froide réalité.
Et l’on comprend, peu à peu, que ces trois hommes travestis se sont sans doute échoués, pas forcément malgré eux, aux abords d’une station-service le long d’une autoroute. Ici, ces réminiscences de drag-queens peuvent continuer à se produire, à faire le show, comme elles l’ont sûrement toujours fait au cours d’une carrière qui n’est plus. Avec ou sans public, le spectacle doit continuer. Les spectateurs se font rares, alors on cherche à les retenir par tous les moyens, comme cet homme marginal qui n’atteindra jamais le téléphone, pourtant seul véritable lien vers le monde extérieur, qui sonne inexorablement.
Car après tout, sans le spectacle, que reste-t-il ? Du coup, on invente, on réinvente, on reproduit, on imagine, on improvise parfois. Il y a le théâtre qui a besoin de décors, de lumières et d’accessoires pour exister. Et puis il y a le théâtre qui existe avec ce qu’il y a, ni plus ni moins : c’est le cabaret hérité de Brecht ou de Karl Valentin, c’est le cabaret du trio Berrettini / Capdevielle / Marin.
Trio, le mot n’est pas correct, toutefois. Il serait injuste et incomplet d’oublier dans cette création les autres artistes qui complètent la distribution, la régie et la technique. Parmi eux, une mention spéciale doit être attribuée au jeune Ilel Elil dont les talents, que nous nous abstiendrons ici de dévoiler aux futurs spectateurs, apportent un relief surprenant et bienvenu à l’ensemble.
Music All est une pièce qui fait honneur aux artistes pluridisciplinaires dont la foi et la passion n’ont jamais disparu en dépit des échecs. C’est une pièce qu’il faut aller voir pour s’esclaffer, pour rêver et pour aimer aussi. C’est une pièce qui transforme ce qui pourrait être de la pitié en une empathie profonde et sincère. À découvrir jusqu’au jeudi 10 février 2022 au Théâtre des 13 Vents à Montpellier.
Music All
Crédits
CONCEPTION MARCO BERRETTINI, JONATHAN CAPDEVIELLE, JEROME MARIN / INTERPRETATION MARCO BERRETTINI, JONATHAN CAPDEVIELLE, ILEL ELIL, JEROME MARIN, FRANCK SAUREL / COMPOSITION MUSICALE ILEL ELIL / ASSISTANT ARTISTIQUE LOUIS BONARD / SCENOGRAPHE ET LUMIERES BRUNO FAUCHER / CONSTRUCTION MODULES MC2-GRENOBLE / DECORATION MODULES DANIEL MARTIN / REALISATION HAIE VEGETALE ATELIERVIERANO / COSTUMES COLOMBE LAURIOT PREVOST / ASSISTANTE COSTUMES LUCIE CHARRIER / CREATION SONORE VANESSA COURT / REGIE GENERALE JEROME MASSON