Mathilde Monnier : « J’aimerais bien continuer à faire du théâtre »

Grande habituée du festival Montpellier Danse, Mathilde Monnier y a présenté cette année sa nouvelle création intitulée Black Lights. Inspiré des textes de la série Arte H24 de Valérie Urrea et Nathalie Masduraud, ce spectacle met en scène huit interprètes qui portent les paroles, fortes et nécessaires, de femmes victimes des violences du quotidien. À l’issue des deux premières représentations montpelliéraine, et avant de l’emmener au Festival d’Avignon en juillet, la chorégraphe revient avec nous sur cette forme à la croisée de la danse et du théâtre.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
10 mn de lecture

Revenons un peu sur la genèse de ce spectacle. Racontez-moi votre « rencontre » avec la série H24 qui a inspiré le spectacle ?

J’avais déjà travaillé avec Valérie Urrea, parce qu’on avait fait Bruit Blanc ensemble, quand elle était jeune cinéaste, elle devait avoir une vingtaine d’années. Elle a fait pas mal de captations de mes spectacles, donc c’est vrai que je suis un peu toujours ce qu’elle fait, un peu de loin, comme ça, et on est resté proche. Et j’avais vu la série, mais c’est en achetant les textes publiés chez Actes Sud que j’ai eu un peu le début d’un déclic. C’est un peu là où je me suis dit… Après, on ne se souvient jamais tellement comment les choses se sont passées, mais en gros, c’est quelque chose comme ça (rire).

Donc c’est avant tout passé par les textes ?

Par les textes, c’est sûr. Quand j’ai vu la série, je n’y ai pas pensé du tout.

Parmi ces textes, vous en avez sélectionné neuf, pourquoi ceux-là ?

Oui, au début j’en avais gardé douze, mais après c’était trop de texte. D’abord, il y a une sorte de chronologie dramaturgique dans la pièce, d’événements qui sont mineurs à des événements plus importants, plus graves, d’agressions… Puis, je voulais que les textes disent chacun quelque chose de différent, en-dehors même des faits qu’ils relatent, des faits divers. Il y a des textes qui sont vraiment de la petite anecdote dans le monde de la pub ou dans le monde de l’entreprise, jusqu’à des textes qui sont plutôt la remise en question de la société. Finalement, c’est une question systémique, sociale, globale. Et donc, il y a une espèce de crescendo aussi, finalement, qui va de l’intime, de l’individuel jusqu’à la société dans son entièreté, qui porte effectivement cette question de la domination et qui ne reconnaît pas les victimes.

Black Lights, c’est la lumière noire qui fait ressortir ce qu’on ne voit pas à l’œil nu. Il y a encore besoin de mettre en lumière cette parole-là, elle est encore étouffée en 2023 ?

© Peter Avondo – Snobinart

Beaucoup moins qu’avant, c’est sûr. Il y a une énorme avancée depuis quand même quelques années. Mais disons que, par exemple, du point de vue de la littérature, je sais que les femmes autrices ne sont pas lues par des hommes. On a des statistiques. Il y a aussi cette histoire de la reconnaissance d’écriture féminine, et les hommes lisent la littérature d’homme. Bien sûr, ce n’est pas une globalité, mais les femmes lisent les hommes et les femmes. Il y a aussi cette reconnaissance des autrices internationales, qui sont relativement jeunes, elles ont plutôt autour de quarante ans, et le fait que finalement, la parole incarnée sur un plateau peut peut-être dire autre chose, d’une manière différente, que le militantisme, ou écrire un texte, ou dans un débat d’idées, par exemple. Ça va être peut être entendu d’une autre manière. Après, je ne le fais pas pour une raison morale ou pour changer la société parce que je ne sais pas si un spectacle change quelque chose (rire). Mais disons que c’est peut-être aussi quelque chose qui permet d’apaiser un peu.

Pour ça, vous avez une vitrine incroyable, entre la création à Montpellier Danse et ensuite le Festival d’Avignon, où beaucoup de monde va voir le spectacle en très peu de temps. Est-ce que c’est quelque chose que vous prenez en compte dans votre démarche artistique au moment de la création ?

Je prends en compte le public, toujours. Mais après, ce qui m’amuse beaucoup à Avignon, c’est le fait que je vais enfin avoir un public de théâtre. Ce qu’on n’a pas beaucoup, en danse. Bien sûr, le public se mélange, mais je pensais que cette pièce était à la fois pour de la danse et du théâtre et j’avais peur de passer à côté du public de théâtre qui a une autre approche et peut-être va aussi… C’est difficile, en danse, d’introduire neuf textes sur un plateau. C’est quand même un challenge assez compliqué. J’avais vraiment peur de me planter et que ce soit super mal reçu (rire). Même si les textes ne sont pas difficiles, mais c’était quand même un challenge. Et c’est aussi ça, toucher le public de théâtre d’Avignon, qui est aussi un public assez populaire, qui vient depuis des années, qui est beaucoup issu du milieu de l’Éducation Nationale. Donc il y a aussi ce côté pédagogique, que le spectacle contient, ou qui peut être un outil pédagogique. Et je m’en rends compte parce que j’ai pas mal de demandes sur les lycées, alors je leur dis attention parce qu’il faut faire une préparation.

Il y a justement une recherche évidente de cette théâtralité dans ce spectacle. C’est quelque chose qui vous inspire ?

Oui, beaucoup. Au départ, je voulais faire une pièce de théâtre, je voulais travailler sur des textes et je voulais avoir des textes sur scène comme je l’avais fait un peu avec Tiago Rodrigues et Maria La Ribot. Parce que j’adore les textes, j’aime beaucoup cette double entrée texte et danse, même si elle est assez improbable et qu’elle fait très peur, mais ça m’intéresse vraiment d’entendre un sens et de voir que le corps produit encore un autre sens, et cette corrélation entre les deux. Je trouve ça hyper intéressant.

Ici, on part d’une parole orale, de témoignages… Comment on transpose ces textes en une écriture chorégraphique ?

Le texte contient toujours des indices qui vont permettre que le corps trouve une certaine réponse. Par exemple, le premier texte, qui est un texte uniquement parlé, il y avait la question du sourire qui est très importante. C’est vrai que j’ai appuyé beaucoup le monologue sur le sourire dès le début. Mais il y a des textes qui contiennent de la rage, de la puissance ou de la colère. Ça, c’est aussi quelque chose qui a été un moteur pour moi. L’énergie aussi, la question de l’énergie, quand on danse, on peut la traduire très facilement. C’était aussi trouver dans chaque texte un peu l’état de corps possible. Si je pense au texte « Je brûle », elle est comme une bougie sur place, elle n’a que les mains qui bougent. Ce corps-là, il était déjà presque dans le texte.

En parlant de brûler, il y a ces éléments qui partent en fumée sur scène… Qu’est ce qu’ils signifient pour vous ?

J’ai beaucoup lu sur la tragédie et il y a beaucoup d’analyses sur le rapport des femmes dans la tragédie. Dans la façon dont la tragédie a traité la question de la femme, mais aussi dans la tragédie athénienne, ce qu’ils appellent la place du blanc, c’est-à-dire que la femme est ou dans la mort ou dans le blâme ou dans l’absence. La place de la femme dans la tragédie n’est jamais du côté de la sagesse ou de la sophia. Au départ, j’avais beaucoup pensé à cette question de la tragédie et d’un décor assez intemporel. Le mouvement #MeToo a révélé beaucoup de choses. Mais l’histoire de la violence, elle était déjà là depuis la tragédie, exprimée dans les textes. Ça vient de ça, de cette idée d’intemporalité, une sorte de paysage mental qu’elles traversent pour aller après vers le public. C’est une sorte de paysage mental qui est à la fois derrière et devant, qui est toujours là. Au début, ça devait être un olivier et finalement, ce sont ces racines d’olivier qui ont plus de deux cents ans et qu’on a trouvées dans un champ de l’Hérault (rire).

© Marc Coudrais

Les textes, la tragédie… Vous avez envie de poursuivre du côté du théâtre ?

Sincèrement, j’aimerais bien continuer à faire du théâtre. Cette friction danse et théâtre, ça m’intéresse beaucoup. Il n’y a pas beaucoup de gens qui travaillent à cet endroit-là. Et maintenant, ne voir que danser… il me manque quelque chose. Quand je les vois danser, qu’elles ne parlent pas, j’ai l’impression qu’il manque une dimension, c’est très bizarre (rire). Alors que j’adore la danse. Mais de plus en plus, je les fais parler, ça fait un moment que je tourne autour de ça.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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