Intérieur, nuit, champ de bataille. Les balles sifflent dans le grondement des bombes qui inondent tout de leur lumière explosive. Sous les cadavres qui s’amoncellent, les tableaux de guerre façonnent une intense scène d’ouverture. Fidèle à sa recherche esthétique, le Munstrum Théâtre en passe en premier lieu par des images d’une grande puissance sensible et plonge les spectateurs en immersion dans ce Makbeth déjà déshumanisé. Car en adaptant la pièce la plus sombre de Shakespeare, Louis Arene et Lionel Lingelser n’ont toujours pas pour vocation de monter un classique à la virgule. Au cœur de l’identité de leur compagnie, masques et prothèses viennent au contraire grossir les traits des personnages originaux, devenus leurs propres caricatures, autant que celle de l’espèce qu’ils représentent.
Si la notion de radicalité colle incontestablement à la peau du Munstrum Théâtre, c’est ici dans son sens premier qu’elle s’impose, où il s’agit de prendre les choses à la racine. Que les inconditionnels d’un Shakespeare académique soient prévenus : Makbeth s’écrit avec un K comme « punk », parce que la pièce résulte d’une réécriture qui cherche à sonder la cruauté humaine comme caractéristique intrinsèque. Ainsi cette création s’affranchit-elle largement du récit de l’œuvre dont elle s’inspire, afin de se concentrer sur les rapports qu’entretiennent les personnages à leurs propres pulsions mortifères. Dans cette approche se développe un théâtre de la physicalité et de l’apostrophe qui, pour sa part, n’est pas sans évoquer celui pratiqué il y a quelques siècles par la troupe de l’auteur élisabéthain.
À la faveur des visages factices et impersonnels dont ils se parent, les interprètes composent une farce cruelle qui n’appartient plus à aucune époque. Alors la dramaturgie rejoint l’intention de se purger, par la fiction, d’une réalité contemporaine qui nous échappe. Dans Makbeth comme dans notre monde moderne, le rapport à la violence, au pouvoir ou au contrôle semble en effet avoir perdu toute mesure. Dès lors, comment mieux le désacraliser que par l’artisanat du théâtre ? En cela, les effets spéciaux sont légion et œuvrent à maintenir un équilibre entre magie de pacotille et illusion véritable, brouillant la mince frontière qui sépare le réel du fantasme.
Et pour cause, sous les gerbes rouge vif d’un sang de composition, le Munstrum Théâtre transforme son plateau en purgatoire. Ici errent des âmes qui, confrontées à leurs paroles et à leurs actes, n’ont d’autre choix que la mort pour obtenir la paix. Comme condamnées à se pardonner à elles-mêmes, elles semblent faire face à leur propre reflet, à leurs propres démons. Les hallucinations et les remords remplacent ainsi le surnaturel et la destinée. Nul besoin de sorcières pour convoquer la tragédie, quand celle-ci est inhérente à l’être humain et ne peut advenir que par lui.
Avec ce Makbeth, qu’importent les noms, les rangs ou les attributs, c’est l’espèce humaine toute entière qui est pointée du doigt. Le Munstrum Théâtre déploie pour cela une impressionnante panoplie technique et visuelle qui donne la priorité aux images et aux sons. Charge au public d’accepter cette pièce comme une composition esthétique ayant sa propre raison d’être, ou d’y lire la métaphore qui se file en sous-texte affirmant que si les rois sont fous, alors les fous devraient être rois.
Makbeth
Création 2025 Châteauvallon-Liberté – Toulon
Vu aux Célestins, Théâtre de Lyon
Avec Louis Arene, Sophie Botte, Delphine Cottu, Olivia Dalric, Lionel Lingelser, Anthony Martine, François Praud, Erwan Tarlet / texte d’après Macbeth de Shakespeare / mise en scène Louis Arene / conception Louis Arene et Lionel Lingelser / traduction et adaptation Lucas Samain en collaboration avec Louis Arene / collaboration à la mise en scène Alexandre Éthève / chorégraphie Yotam Peled / dramaturgie Kevin Keiss / assistanat à la mise en scène Maëliss Le Bricon / scénographie Louis Arene, Mathilde Coudière Kayadjanian, Adèle Hamelin, Valentin Paul / création lumière Victor Arancio, Jérémie Papin / musique originale et création sonore Ludovic Enderlen, Jean Thévenin / costumes Colombe Lauriot Prévost / assistanat costumes Thelma Di Marco Bourgeon, Florian Emma / masques Louis Arene / coiffes Véronique Soulier Nguyen / direction technique, construction, figuration Valentin Paul / effets de fumée et accessoires Laurent Boulanger / accessoires, prothèses et marionnettes Céline Broudin, Louise Digard, Amina Rezig / renforts accessoires et costumes Marion Renard, Ivan Terpigorev, Agnès Zins / stagiaires costumes Angèle Glise, Morgane Pegon, Elsa Potiron, Manon Surat, Agnès Zins / stagiaires lumière Tom Cantrel, Gabrielle Fuchs / fabrication costumes avec le soutien de l’atelier des Célestins, Théâtre de Lyon / La toile Le ciel orangé a été créée par Christian Fenouillat pour La Trilogie de la Villégiature mis en scène par Claudia Stavisky / régie générale et plateau Valentin Paul / régie son Ludovic Enderlen / régie lumière Victor Arancio / régie costumes et habillage Audrey Walbott / régie plateau Amina Rezig
Du 10 au 18 avril 2025 : Les Célestins, Théâtre de Lyon
Du 29 avril au 15 mai 2025 : Théâtre Public de Montreuil
Du 22 au 23 mai 2025 : La Filature (Mulhouse)
Du 10 au 13 juin 2025 : Théâtre du Nord (Lille)