Maguy Marin dans le grand ballet du monde avec « Umwelt »

Créée pour la première fois en 2004, Umwelt fait partie des pièces de Maguy Marin qui continuent de tourner encore et encore. Et tandis que, ces vingt dernières années, le monde a connu évolutions et révolutions, le spectacle lui n’a pas changé, nous imposant le regard indubitablement visionnaire, juste et précis de la metteuse en scène sur le monde que nous traversons.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
5 mn de lecture

Une série de miroirs disposés en ligne en fond de scène révèle la grande profondeur du plateau, laissé vide jusqu’au public. Aux pieds des premiers spectateurs, trois guitares électriques sont posées au sol, cordes vers le haut. Un câble se déroulant tout seul de Cour à Jardin les fera vibrer pendant l’heure que dure l’expérience, dans un vacarme assourdissant et ininterrompu, le bruit du monde.

Ce monde, Maguy Marin en propose non pas une fiction ou un jugement, mais bien un constat alimenté par des images, des symboles, des instants suspendus. Au croisement de la démonstration et de la métaphore, la metteuse en scène fait appel à nos souvenirs communs autant qu’à nos histoires personnelles.

D’abord tous face au public, les neuf interprètes – autant que les muses ou les cercles de l’enfer – vont bientôt se mettre en mouvement pour donner vie au grand ballet du monde, dans une succession d’apparitions et de disparitions millimétrées. Avec une synchronicité parfaite, ils participent à la construction d’un espace où se mêlent les joies et les craintes, l’ordinaire et l’incongru, la diversité et les ressemblances.

Grâce à un dispositif qui ne nous montre que ce qui doit être vu, Maguy Marin imagine une pièce qui tient presque de l’illusion, dans un palais des glaces qui ne déforme pourtant rien de la réalité, tandis que les miroirs gondolent au gré du souffle des ventilateurs qui donnent à l’ensemble l’aspect d’une tempête.

Au cœur de ce cyclone fait de bruit et de vent, on ne laisse pas la place aux réactions des spectateurs, couvertes quoiqu’il arrive par le vacarme environnant. Il ne s’agit plus d’être acteur, mais bien de se poser en observateur de ce monde que l’on connaît déjà trop bien. Et l’on y voit des choses sans temporalité en dépit des apparences : les rois que l’on couronne et que l’on destitue, les revendications des peuples, les guerres que l’on se livre, autant que les petits gestes du quotidien, à priori insignifiants et néanmoins si lourds de sens.

Cet Umwelt vu en 2023 révèle tout le caractère visionnaire et juste de Maguy Marin. En avance sur les combats écologiques qui nous sont devenus habituels, elle imagine ce plateau d’abord vide qui finit par se remplir de détritus, de restes, de témoignages de notre passage. Car, à l’image des personnages qui apparaissent et disparaissent, nous ne sommes que des silhouettes qui traversent le monde sans vraiment l’habiter, comme des stéréotypes pris dans le cycle de quelque chose qui nous dépasse.

Sans leur apporter de réponse, Umwelt intrique des questionnements existentiels les uns aux autres en interrogeant notre place individuelle et commune. Après tout, nos singularités présumées se trouvent souvent partagées par d’autres, et ce qui semblait nous distinguer finit par nous rassembler malgré nous. Même notre envie propre de s’extirper de cette machine infernale semble commune, autant que ce regard, osé vers l’extérieur, qui nous ramène inlassablement au monde tel qu’on le connaît.

Avec Umwelt, Maguy Marin propose une pièce contemplative où il n’est question ni de sexe, ni de genre, parfois même pas d’humanité. C’est l’expression d’un univers dans sa globalité, où tout n’a pas besoin d’être montré pour être vu. L’expérience met en lumière un travail faramineux de régie plateau et de rigueur d’interprétation. On en ressort soulagé par le retour du silence et en prise aux multiples questions sur la complexité du monde qui nous entoure.

À (RE)VOIR
– jusqu’au 10/02 au Théâtre des 13 vents à Montpellier

CONCEPTION
MAGUY MARIN
AVEC
ULISES ALVAREZ, KOSTIA CHAIX, KAIS CHOUIBI, DAPHNE KOUTSAFTI, LOUISE MARIOTTE, LISE MESSINA, ISABELLE MISSAL, PAUL PEDEBIDAU, ENNIO SAMMARCO
DISPOSITIF SONORE ET MUSIQUE
DENIS MARIOTTE
LUMIERES
ALEXANDRE BENETEAUD
COSTUMES
CATHY RAY, NELLY GEYRES
SON
VICTOR PONTONNIER
REGIE PLATEAU
ALBIN CHAVIGNON

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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