Blast! ou la déformation d’un corps
Un halo de lumière blanche se dessine sur le plateau noir. Dans Blast!, Pas de temps à perdre. Sur des percussions bruyantes et désordonnées, Ruth Childs tourne autour d’un cercle intangible comme si elle voulait remonter le temps, jusqu’à s’accorder enfin une pause. Oser un silence long, lourd et apaisant, le regard scrutant le public dans une lenteur extrême, tandis que son visage se déforme insensiblement jusqu’à ouvrir une béante bouche munchienne.
Alors commence le véritable travail de l’interprète. Son corps et ses traits se tendent et s’entrelacent avec douleur, au-delà du naturel. Ses membres puis tout son organisme se mettent à trembler avec des grognements qui tiennent du fantastique plus que de l’animal. Le travail du son sert une forme qui met mal à l’aise mais qui attire irrépressiblement. Son attitude parfois enfantine et ses mimiques de gamine nous font penser que Ruth Childs est habitée par un démon, en attente de son exorcisme.
L’expressivité de l’artiste est extraordinaire. Seule sur ce grand plateau, elle habite l’espace de ce cauchemar où elle semble trouver malgré tout la possibilité de s’épanouir. Sa voix modifiée vient d’ailleurs, son corps est emprisonné dans ce lieu sans cloison, rien ne lie la réalité de l’espace à l’abstraction de l’esprit qui y évolue, pourtant la forme fonctionne. La sortie de salle se fait comme un réveil, restent les images effrayantes de ce corps humain disloqué et de cet interminable cri muet. Une prestation qui, comme Blast!, laisse des traces, est toujours de bon augure…
Empire of a Faun Imaginary, un cri dans le désert
Sur le tapis blanc qui recouvre le plateau apparaissent des monticules minéraux ocre comme ceux que l’on voit dans les grandes étendues désertiques américaines. Le paysage est vide et semble inhabité. Pourtant bientôt quatre créatures viennent l’habiter à leur propre manière. Justaucorps aux couleurs différentes, poils apparents sur les jambes et dans l’attitude si caractéristique des suricates, les quatre interprètes entrent en scène dans un décalage assumé qui trouve bientôt son sens.
Bienvenue dans le monde imaginaire de Simone Mousset où, comme dans les rêves, ce que l’on connaît de la réalité prend soudain une forme étonnante, amusante, effrayante parfois, mais jamais totalement étrangère. Dans cette vallée inconnue, les bêtes bêlent ou grognent, rampent ou sautent, s’entraident ou se dévorent, et surtout elles s’expriment. Le travail animal du corps est précis, à n’en pas douter, mais celui de la voix, moins attendu sur un spectacle chorégraphié, est particulièrement précieux dans cette création.
Ce chant, qui prend des formes différentes au cours de la représentation, tisse le fil rouge d’une réflexion autour de nos instincts communs et de nos comportements. Car tout humour mis à part – et il y en a –, ces quatre animaux hybrides évoluent en société comme le font les êtres humains, dans un entrelacs complexe d’émotions, d’attirances, de confrontations, toujours guidés par l’instinct de survie face à l’inexorable. Simone Mousset parvient à faire oublier l’humain en lui montrant précisément ce qui le définit : l’antinomie fait mouche.