L’angoissant « Caligula » de Camus sous la patte de Capdevielle

Jonathan Capdevielle s’empare du Caligula d’Albert Camus dans cette pièce créée en début de saison au Festival d'Automne. Avec une approche qui met au plateau ce qui est écrit entre les lignes, il propose une version effrayante parce qu’insidieusement réaliste de ce que l’Histoire a déjà connu, de ce qu’elle vit encore et de ce qu’elle subira vraisemblablement demain…

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Théâtre des 13 vents
4 mn de lecture
© Marc Domage

La cruauté est sournoise sous le règne de Caligula. De toute façon, le public sait déjà qu’il vient assister à une démonstration de tyrannie, alors quel intérêt y aurait-il à lui asséner en pleine face une quelconque violence assumée, franche, expansive ? Pour Jonathan Capdevielle, la pièce de Camus recèle au contraire une perversité suggérée, sous-jacente, qui ne s’exprime que progressivement au gré d’une atmosphère lourde qu’alimente une langueur amère.

En instaurant ainsi son propre rythme et portant le rôle-titre avec une nonchalance qui distille le pire, Capdevielle met l’accent sur une approche ressentie de la terreur, plutôt que sur une didactique qui ne passerait que par les mots ou les gestes. Il situe son (in)action sur un rocher, sorte de crique à demi abandonnée et lassée de la présence humaine, d’où il laisse croire à un certain détachement de la réalité, qui suit pourtant bel et bien son cours, quelque part à l’abri des regards.

Car l’ambiance dans laquelle nous plonge ce Caligula est étrange, à la limite de l’horrifique par ce qu’on nous y dissimule. À de multiples reprises, les personnages laissent le public seul ou presque, quand ils ne lui tournent pas le dos pour le contraindre à faire face à un décor figé derrière lequel tout ne peut que s’imaginer. La suggestion poussée de la sorte renvoie chaque spectateur à ses propres projections et d’emblée, les liens se font.

Il y a chez ce tyran une manière d’être et de faire que nous, contemporains de la création de cette pièce, pouvons difficilement ne pas associer au comportement de nos dirigeants, politiques ou hiérarchiques. Derrière les sourires, les gestes faussement tendres et les petites phrases bien tournées qui font croire au contraire de leur sens profond, se tisse une toile de fond dans laquelle public et personnages se retrouvent pris au piège sans avoir pu se débattre véritablement.


D’un point de vue bien plus global, Jonathan Capdevielle offre également une lecture plus vaste, plus terrible encore, d’un contexte international qui n’en finit pas de suivre les mêmes chemins, nous ramenant systématiquement aux décisions de quelques-uns et à leur impact inexorable sur des vies humaines condamnées à les subir.

Dans son traitement même de la pièce de Camus, le metteur en scène s’amuse d’ailleurs de cette dévotion – souvent feinte, parfois sincère – des disciples à leur empereur. Le jeu des uns et des autres ne saurait pleinement convaincre s’il ne tournait pas essentiellement autour du personnage de Caligula, qu’il soit ou non en présence, nous ramenant malgré nous à cet état de tension permanente, comme une épée de Damoclès, espérant autant qu’on le craint le retour du tyran.

Pourtant son glissement progressif vers une folie toujours plus instable ne fait aucun doute. Ses volontés déjà hors entendement se réalisent avec une extravagance qui fait sourire – qui fait même rire, disons-le –, mais à quel prix ? Derrière ces éclats amers et décalés se cachent ce qu’on ne veut pas voir plus que ce qu’on ne veut pas montrer : la terreur affranchie de tout contrôle qui fait désormais foi.

À travers cette création, Jonathan Capdevielle décline sans doute possible une identité artistique assumée, dans une proposition qui parvient à saisir tout le sous-texte du Caligula de Camus. Il lui donne corps dans un objet théâtral fort au sein duquel chaque élément, chaque absence, chaque silence joue un rôle essentiel, avec un équilibre ténu qui ne rompt pas… À vivre sans réserve !

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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