« Welfare » par Deliquet, le docu tourne à la farce sociale

Invitée à ouvrir le 77e Festival d’Avignon dans la Cour d’honneur, Julie Deliquet propose une nouvelle adaptation venue du cinéma. Cette fois, elle choisit le documentaire Welfare réalisé en 1973 par Frederick Wiseman dans un centre d’aide sociale américain. Si le propos n’a rien perdu de son actualité, la forme théâtrale de la metteuse en scène trouve difficilement sa place sur l’immense terrain de jeu qui lui est confié.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Festival d'Avignon
4 mn de lecture
© Christophe Raynaud de Lage

Il y a deux manières d’appréhender une adaptation en tant que spectateur : soit on s’intéresse à la matière originale en allant chercher comment elle a évolué pour parvenir à la nouvelle version qu’on nous en propose, soit on la découvre comme n’importe quelle autre création en partant du principe qu’elle est inhérente au parti pris. Dans les deux cas, une adaptation comme une création ne peuvent s’abstenir de laisser de côté une partie du public. Or, au regard du grand nombre de spectateurs qui font le choix de quitter la salle en cours de représentation, Welfare ne parvient pas à convaincre dans la globalité.

Il faut dire que la scène de la Cour d’honneur est un terrain glissant pour bon nombre de metteurs en scène, et Julie Deliquet en fait les frais. Recouvrant le plateau d’un terrain multisport taille réelle, comme on en trouve dans n’importe quel gymnase, elle offre au public une échelle universelle qui donne conscience des distances gigantesques qui séparent ses comédiennes et comédiens. Échangeant des propos de l’intime à plusieurs mètres les uns des autres pour habiter autant que possible l’espace immense, les personnages servent finalement un récit au sens difficilement audible, jusqu’à passer au second plan le fond même de la pièce.

Car s’il est indéniable que la majorité des interprètes de Welfare est dévouée à la forme avec beaucoup de talent, dans une performance réaliste qui veut nous faire plonger en immersion dans ce centre social, le travail textuel reste souvent trop en surface et contredit la volonté de mettre à jour toute la détresse de ces personnages du réel. En dehors de quelques instants qui nous font toucher du doigt une dimension plus juste, plus sociale, la légèreté globale et les plaisanteries lancées en espérant les rires donnent une lecture presque ironique de la situation, qui a néanmoins le mérite de maintenir un certain régime d’attention durant la pièce.

Pourtant les sujets que l’on y aborde sont profondément nécessaires et rares au théâtre. Mettre ainsi en lumière la parole de bénéficiaires de l’aide sociale aux États-Unis et se rendre compte que leur misère et leur désespoir traversent aussi facilement les frontières que les décennies, voilà qui avait de quoi servir un théâtre social et politique percutant. À entendre certaines réactions d’un public en partie inconscient de cette réalité, il est très clairement essentiel d’imposer ce propos sur un plateau afin de lui donner corps. Reste que l’approche artistique et la volonté défendue par la metteuse en scène ne semblent pas trouver de point commun ici.


Julie Deliquet n’en est pas à sa première adaptation de l’écran à la scène, ce dont on la sait parfaitement capable, et avec talent, mais cette création dans la Cour d’honneur du Festival d’Avignon atteint difficilement son objectif. Était-ce le bon moment pour mettre en scène ce Welfare ? Sans aucun doute. Était-ce le bon endroit ? Probablement pas. Mais la tournée à venir permettra peut-être d’appréhender ce spectacle sous un angle nouveau…

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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