« Liebestod », la grande déclaration d’amor d’Angélica Liddell

Il faut remonter au Festival d’Avignon 2021 pour retrouver le grand bruit qui a été fait autour de ce spectacle. Artiste performeuse réputée depuis plus de quinze ans pour soulever les cœurs et provoquer les cris, la metteuse en scène madrilène est en tournée avec son manifeste Liebestod.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
6 mn de lecture
© Christophe Raynaud de Lage

Le rideau rouge sang est bien fermé quand le public s’installe, impatient de découvrir ce qu’Angélica Liddell leur a réservé pour ce nouveau spectacle. Et quand il s’ouvre, c’est pour se refermer aussitôt, à plusieurs reprises, donnant aux spectateurs tout juste le temps d’apercevoir quelques images, comme un roman photo sur fond d’une sirène assourdissante, qui impose le décor clair et lumineux qui servira d’aire de jeu au cours de cette pièce. Du sol aux pendrillons, tout y est d’un jaune pâle, usé, matérialisant une arène, sa piste et ses barrières. Ici vont se concentrer tout ce que la corrida et le théâtre ont en commun : la passion, l’amour, la mort.

Car s’il n’est pas au cœur même de ce spectacle, l’art de toréer est bien présent dans Liebestod (littéralement « mort d’amour »). En s’appropriant l’histoire tragique – au sens dramaturgique – du torero Juan Belmonte, qui s’est donné la mort pour ne pas l’avoir trouvée dans l’arène, Angélica Liddell se lance pendant deux heures dans une introspection qui interroge sa propre place en tant que femme, en tant qu’artiste, en tant qu’être humain.

« Tu fais du théâtre pour demander de l’amour. »

Lorsqu’elle apparaît, endeuillée, drapée de sa longue robe noire, Liddell entre sur scène non pas pour jouer mais pour être. Elle n’est pas là pour faire semblant comme le font les actrices qu’elle fustige d’être des menteuses invétérées. Si l’artiste doit se donner corps et âme à son art, autant le faire sans concession. Alors elle se mutile et l’exhibe fièrement, comme un pacte conclu entre elle et le public pour l’assurer de son total dévouement.

Et au-delà de quelques images fortes, dont on peut comprendre qu’elles interrogent des spectateurs sensibles, c’est le fond de cette pièce qui touche particulièrement. À plusieurs reprises et pendant de longues minutes, l’artiste espagnole se laisse emporter dans des logorrhées au rythme endiablé et nous embarque avec elle dans son constat du monde. Avec force, avec violence et avec beaucoup de justesse, elle dresse un portrait au vitriol de nos sociétés modernes, du théâtre et même de notre pays. Un discours puissant qui s’affranchit totalement du politiquement correct sans jamais tomber dans l’excès ou la caricature.


Il y a ces tableaux aussi, entre la vie et la mort, que Liddell nous dresse les uns après les autres. Des scènes d’un bel esthétisme inspirées d’œuvres musicales, picturales ou monumentales, dans lesquelles elle invoque des images fortes, poignantes et sublimes. Des extraits qui deviennent aussi sa zone de liberté. Quand elle ne parle pas, l’artiste entre dans une transe qui a parfois du mal à parvenir jusqu’à nous, ce qu’elle assume et qui fait aussi partie de sa démarche.

« Toutes ces choses que tu as faites sur scène et qui n’ont de sens que pour toi. »

On en vient alors à ce que nous raconte véritablement Liebestod. Cette mort d’amour est précisément celle d’Angélica Liddell. Un chemin qu’elle parcourt à chaque fois qu’elle monte sur scène, qui se répète inlassablement, et au cours duquel elle affronte ses plus grands démons en faisant preuve de la plus grande sincérité possible. Violente, elle l’est surtout et avant tout envers elle-même. Sa grande puissance cache une immense fragilité.

Une fragilité qui s’égrène pendant tout le spectacle. Durant toute la première partie, Liddell ne regarde les spectateurs qu’à travers un mouchoir imbibé de son propre sang. Et quand enfin elle décide de s’adresser directement au public, c’est par le biais d’un micro qui, là encore, devient une infime protection entre le théâtre et la réalité qu’elle exècre. La metteuse en scène fait même un ultime aveu de faiblesse dans les derniers instants. « Quand le miracle a lieu, le sang n’existe pas, il n’est pas là », peut-on lire au-dessus d’elle à propos de la corrida. Pourtant, le plateau, lui, est encore rougi du sang d’Angélica…

Contrairement à ce qu’on a pu lire et entendre, Angélica Liddell ne hait pas son public, elle l’adore au sens biblique du terme. Elle lui voue un amour passionnel qui, au moment du salut, se résume en un ultime geste aussi symbolique que puissant, celui d’une fleur jetée en offrande. Une fleur rouge… évidemment.

À (RE)VOIR
– ce 03/12 au Domaine d’O à Montpellier

TEXTE, MISE EN SCENE, SCENOGRAPHIE, COSTUMES
ANGELICA LIDDELL
AVEC
ANGELICA LIDDELL, EZEKIEL CHIBO, BORJA LOPEZ, GUMERSINDO PUCHE, PALESTINA DE LOS REYES, PATRICE LE ROUZIC ET LA PARTICIPATION DE FIGURANTS
LUMIERE
MARK VAN DENESSE
SON
ANTONIO NAVARRO
HABIT DE LUMIERE
JUSTO ALGABA
ASSISTANAT A LA MISE EN SCENE
BORJA LOPEZ
REGIE PLATEAU
NICOLAS GUY, MICHEL CHEVALLIER

Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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