On pourrait croire que, pour sa première réalisation, Olivier Py a opté pour l’évidence en portant à l’écran un personnage aussi symbolique que Molière. Ce serait sans compter sur le fait que, derrière l’emblème et l’énigme irrésolue de sa mort, le dramaturge quatre fois centenaire porte aussi à travers les siècles tout le poids du théâtre. C’est en tout cas le fil qu’a choisi de suivre l’actuel directeur du Théâtre du Châtelet, transposant sur grand écran sa propre vision de l’épisode de l’ultime représentation du Malade imaginaire en présence de son auteur.
Car il n’y a bien que l’écran, ou presque, pour nous rappeler que nous sommes au cinéma. Déroulant un semblant de long plan-séquence d’un générique à l’autre, Olivier Py ne se conforme pas uniquement aux sacrosaintes unités (temps, lieu, action) qui caractérisent le théâtre classique – bien qu’il les modèle par ailleurs à son gré. Dans Le Molière imaginaire, il exprime un geste dramaturgique à part entière, donnant à son film une identité que les fervents spectateurs de son théâtre reconnaîtront sans mal, avec une dynamique dans laquelle s’intriquent acte et parole, contemplation et réflexion, comédie et tragédie.
Même lorsqu’il s’attaque au cinéma, Olivier Py ne peut donc pas s’empêcher de faire du théâtre, un sujet qu’il maîtrise sans conteste. L’agonie de Molière devient en effet prétexte à mettre le théâtre à nu – au sens propre comme au figuré. Les décors, les costumes, les lumières et la photographie constituent un écrin au sein duquel, comme sur un plateau, le réalisateur-metteur en scène donne vie à sa philosophie artistique et esthétique. Ainsi regarde-t-il Jean-Baptiste Poquelin mourir, tandis qu’autour de lui se jouent d’autres intrigues qui se jouent de la sienne. Là où se confondent le théâtre et la vie – ou inversement –, l’unique caméra glisse le spectateur dans une forme d’omniscience voyeuriste qui s’instaure dans la suggestion plus que dans la démonstration.
Sur ce point, pourtant, Olivier Py ne renie pas son goût pour l’exubérance et l’expressivité qui caractérisent son travail de la scène. Maquillages outranciers, gestuelles appuyées, déclamations surjouées… de nombreux éléments concourent à la dérision – à l’autodérision, aussi. Mais cette expansivité, contrebalancée par de nombreuses séquences plus intimistes – plus réalistes, diront certains –, conduit à un équilibre qui fait du Molière imaginaire un film de théâtre autant que de cinéma.
La distribution se fait d’ailleurs l’écho de cette tendance, avec un casting qui combine habilement la scène et l’écran. Autour de Laurent Lafitte – intense et touchant dans le rôle-titre – gravitent nombre d’actrices talentueuses aux personnalités fortes (Stacy Martin, Jeanne Balibar, Judith Magre, Dominique Frot, Catherine Lachens…). À ses côtés, Olivier Py convoque aussi certains de ses fidèles et non moins brillants comparses de théâtre que sont Philippe Girard, Olivier Balazuc, Émilien Diard-Detœuf ou encore Bertrand de Roffignac, avec qui il cosigne le scénario.
Toute cette troupe réunie dans Le Molière imaginaire travaille à un film qui emprunte certes davantage au théâtre qu’au cinéma, mais qui a ainsi le mérite de proposer un objet inédit et réjouissant, au demeurant. Avec cette première réalisation qui poursuit son travail artistique en toute pertinence, Olivier Py fait une entrée convaincante en salles obscures.