Jean-Baptiste Durand : « Chien de la casse était le seul premier film que je pouvais faire »

Un premier film et une ascension fulgurante... Après sa sortie, Chien de la casse a connu un succès critique et public que peu de monde aurait pu imaginer. Le film dresse le portrait d’une jeunesse rurale qui se cherche dans la société. Porté par un trio d’acteurs d’exception, dont l’inclassable étoile montante du cinéma français Raphaël Quenard, Chien de la casse ne comptabilisait pas moins de sept nominations aux César, repartant avec deux récompenses en février dernier. Nous avons rencontré son réalisateur Jean-Baptiste Durand qui nous parle ici de son film si personnel... Ses débuts, son parcours, le cinéma, le foot... Portrait d’un cinéaste dont la personnalité manquait au cinéma français.

Martin Loucheux
21 mn de lecture
Jean-Baptiste Durand - Photo : Thibault Loucheux-Legendre / Snobinart

Quel a été votre parcours avant la réalisation de Chien de la casse ?

En bref, j’ai fait les Beaux-Arts sans aucune intention de faire du cinéma, parce que je ne viens pas spécialement d’un milieu où c’était dans le champ des possibles… Et j’ai découvert un petit peu la possibilité, voire même l’idée de faire du cinéma pendant mon parcours aux Beaux-Arts parce qu’on avait des cours de cinéma et de vidéo. Là j’ai été pris de passion et j’ai commencé à m’y intéresser. C’était d’abord en faire qui m’intéressait, mais c’est aussi intéressant de voir des films. La passion de voir est venue juste après celle de fabriquer des films. Après je me suis dit qu’il fallait que je me forme, et surtout pas dans une école parce que je ne suis vraiment pas scolaire et que je venais de faire cinq ans d’études… Du coup je suis allé en faire sur des plateaux comme technicien. Ça c’était un peu mon premier rapport au tournage et au cinéma, c’était la machinerie, la déco, l’assistanat réal, le jeu… et en parallèle de ça je lisais beaucoup de livres, je voyais beaucoup de films… J’ai un peu fait ma cinéphilie et mon école comme un autodidacte chez moi et sur les plateaux.

Sur cette cinéphilie, est-ce qu’il y a des cinéastes que vous avez découverts et qui ont pu avoir une influence sur votre travail ?

L’envie de faire ce métier n’est pas venue de là. Cette envie elle est venue quand on m’a mis une caméra dans les mains et on m’a obligé de faire un film pendant un cours de cinéma. C’est vraiment à ce moment-là que j’ai voulu faire du cinéma, c’est pas la cinéphilie qui m’y a amené. Après quand j’ai découvert des cinéastes, évidemment qu’il y en a qui m’ont marqué. Comme ça spontanément je dirais Léos Carax, Bruno Dumont, Jean-Charles Hue, James Grey, Scorsese, Blier… En fait j’ai vraiment une cinéphilie et un amour assez large et je vois du bon partout. Si vous me redemandez dans une heure, je vous en citerai dix autres. Ceux qui reviennent souvent c’est James Grey, Blier pour certains… il y en a beaucoup… Après les références, comme je viens des Beaux-Arts et pas de la cinéphilie, elles sont bien au-delà du cinéma. Je vais avoir des cinéastes qui m’influencent, mais aussi des lectures, des footballeurs, des rappeurs, des philosophes, des copains qui vont me sortir une punchline qui va me percuter et changer un truc… Quand je me suis mis à faire Chien de la casse j’ai plutôt diminué ma cinéphagie. J’ai vu des films comme Stromboli qui a été intéressant, des Fellini… Mais je me suis plutôt remis à lire des romans, de la philo, aller voir le foot, fréquenter assidûment mes amis… Ouais, revenir à la terre.

Parlons du film. C’est vraiment le portrait d’une jeunesse rurale qui est un peu perdue dans la société, qui se cherche… Pourquoi avoir abordé cethème pour votre premier film ?

C’était pas une envie calculée. Parler de la jeunesse de village, de l’amitié et de faire un film sur la ruralité telle que je l’ai vécue, c’était conjoint avec l’envie de faire des films. Dès le moment où il y a eu un vrai désir d’aller au-delà d’un exercice des Beaux-Arts, j’ai filmé les jeunes de village. Il n’y a pas eu de réflexion ni politique, ni esthétique, ni stratégique, ni rien. C’était une évidence même. Je pense que j’aurais pas la nécessité de faire du cinéma si j’avais pas fait Chien de la casse un jour. C’était le seul premier film que je pouvais faire. Sinon autant faire autre chose, faire un autre métier…

Jean-Baptiste Durand – Photo : Thibault Loucheux-Legendre / Snobinart

Vous semblez bien connaître cette ruralité…

J’habite à Montpellier depuis vingt ans, mais à douze ans je suis arrivé à Montpeyrou dans l’Hérault. Avant, je suis né sur la Côte d’Azur et j’ai habité dans le Loir-et-Cher, mais c’est à douze ans quand on commence à se construire vraiment comme un ado et comme un adulte que ça compte vraiment et ma jeunesse c’est vraiment Montpeyrou.


Chien de la casse a eu beaucoup de succès. Est-ce qu’à un moment sur le tournage vous avez réalisé le potentiel du film, cette alchimie qu’il y a eu avec les acteurs et le fait qu’il pouvait avoir un tel succès aussi bien public que critique ?

Non, j’ai jamais de gros succès dans mes courts- métrages, c’était pas… J’étais pas à la mode. J’ai jamais été hype. Non, non, j’étais concentré. Souvent on me demandait comment j’allais, je répondais que j’étais concentré. J’anticipais absolument rien, voire même tu réalises que t’es pas un génie, quoi. À la fin j’ai vu mes rushs et je me disais « tant pis, au moins j’ai fait comme j’ai pu et je suis fier d’avoir fait le mieux que je pouvais mais j’ai de la marge de progression ». J’étais pas déçu de moi-même parce que j’avais donné le maximum, je pouvais pas faire mieux, mais vraiment je me suis pris de plein fouet mes limites. Après l’alchimie était délicieuse, mais pas au point de me dire que ça allait se voir à l’écran. Mon travail c’est que les acteurs cohabitent, s’écoutent et s’ils s’aiment tant mieux et je les ai choisis parce que je les aimais. Généralement les gens que j’aime, même s’ils sont très différents, ils s’entendent bien. J’étais vraiment concentré à être le plus précis possible, à bien faire les choses à travailler, à faire un bon film. Mais je ne projetais rien du tout.

Dans l’équipe technique j’imagine qu’il y avait des connaissances des Beaux-Arts ?

Quand j’ai fait le film, ça faisait déjà quinze ans que j’avais quitté les Beaux-Arts, mais je peux quand même vous répondre qu’il y en avait ! Il y avait Benjamin Martinez, le chef décorateur qui a fait les Beaux-Arts. Il était une année avant moi et qui était un vrai ami là-bas. Et il y avait mon frérot, mon meilleur ami des Beaux-Arts, Renaud Seveau, qui était électro sur le film. Après il y a aussi tous les amis que j’ai rencontrés sur les tournages où j’étais technicien… J’avais rencontré Hugo Rossi l’ingénieur du son et co-compositeur du film pendant que j’étais aux Beaux-Arts, mais lui n’y était pas… Après c’est plein d’autres personnes rencontrées durant mon parcours plutôt cinéma.

L’une des grosses réussites du film est son trio d’acteurs qui fonctionne très bien. En ce moment on parle beaucoup de Raphaël Quenard. Comment s’est-il retrouvé sur le projet et comment s’est passé le tournage avec lui ?

C’est vrai que du point de vue des gens la réussite du film c’est ce trio d’acteurs. Au scénario c’était ce trio de personnage qui nous a permis de financer le film aussi. Le projet c’était de trouver les meilleurs acteurs possibles, le meilleur trio pour transcender ces personnages. Donc je suis très heureux, en plus les trois ont été nommés aux César, ce sont tous les trois des amis. Au-delà du trio, il y a vingt-deux acteurs et je pense que si on enlève une seule pièce tout s’effondre. Je suis très heureux qu’on reconnaisse leur travail. Raphaël Quenard, c’est un peu un cas à part. Je me foutais que les acteurs soient connus ou pas connus, ça pouvait être un débutant, où qu’il soit, je voulais retourner la France pour le trouver. J’ai fait des castings à Montpellier, à Paris… Et pendant des années d’écriture il y avait un mec que je ne connaissais absolument pas qui m’envoyait des messages à répétition, c’était Raphaël Quenard. Au moment où il m’envoyait ces messages je crois qu’il avait rien fait, peut-être quelques courts- métrages dans la banlieue parisienne mais pas plus. Il avait entendu parler du projet avec une amie cinéaste avec laquelle il avait travaillé dans le cadre d’un atelier. Elle lui avait dit de m’écrire, donc il m’avait écrit, mais j’avais répondu vaguement. À chaque fois il me réécrivait pile à la date que je lui avais donnée. Je lui disais de me recontacter en décembre et le 1er décembre j’avais droit à son message. J’enquêtais un peu de mon côté, je demandais qui était ce mec, savoir s’il était pas fou (rire). On m’a dit qu’il était extraordinaire en impro, très drôle, mais est-ce que c’était vraiment un comédien ? Je cherchais vraiment des acteurs qui aiment ce métier, qui savent apprendre un texte, le transcender, le penser… Répondre à toute la technique qu’implique le travail d’acteur. Au bout d’un moment, à force qu’il vienne me traquer en sortie de projection et tout ça, il a passé le casting avec d’autres comédiens et au bout de trois minutes c’était comme si j’avais rencontré le nouveau Depardieu, sans vouloir parler de l’affaire Depardieu, on parle de l’acteur là. Il crève l’écran, il crève tout. Si vous le rencontrez, vous verrez, il a un truc magnétique assez dingue. C’est un acteur complètement dingue, j’ai eu la révélation d’un acteur fou de talent. J’avais trouvé un merveilleux acteur et miraculeusement le personnage.

Jean-Baptiste Durand – Photo : Thibault Loucheux-Legendre / Snobinart

Certains le comparent aussi à Dewaere, avec ce côté un peu fou…

C’est des conneries. J’entends le truc, mais Dewaere était écorché vif. Raphaël c’est le contraire d’un écorché vif. Il est heureux de vivre. On le compare à Dewaere, Poelvoorde… Mais je vous garantis, c’est mon pote, qu’il a la joie de vivre. C’est pas un clown triste. Il a plutôt ce côté de manger la vie. Après peut-être qu’il a l’intensité d’un Dewaere, mais elle vient d’ailleurs. Elle vient pas d’une forme de douleur.

Le tournage de Chien de la casse a eu lieu fin 2021. Deux ans plus tard l’ascension est impressionnante avec une nomination aux côtés de grands cinéastes comme Justine Triet qui a eu la Palme d’or… Comment gérez-vous cette ascension ?

L’assension n’a pas commencé tout de suite, au début on a été un peu boudé. On n’a pas été pris dans les gros festivals qu’il faudrait normalement avoir pour que le film ait une vie correcte en salle. Après avoir fini le film, c’était plutôt un bide. Après il y a eu les Premiers Plans d’Angers qui nous ont pris et c’est plutôt là que ça a commencé. On a eu le prix du public. Il y a eu le Festival des Arcs où les exploitants ont eu un coup de cœur sur le film aussi. C’est vraiment à la sortie du film que tout s’est bousculé, le succès critique, le public a fait du bouche- à-oreille, on est passé de 90 salles à 120 salles, à 180 salles… ça s’est joué comme ça et j’étais content, mais j’ai pas mesuré. Moi j’habite Montpellier, je suis très content d’être là, je suis protégé de ça. Je fais pas des films pour être sous les spotlights. Je suis content parce que quand on fait un film on a envie qu’il soit vu et compris aussi dans ce qu’on a voulu faire passer comme message, comme sentiment… Il y a une vraie satisfaction de ça, une fierté aussi parce que c’est une bande de copains, je suis content pour tout le monde. Ça va me permettre de penser à la suite. Je me sens en concurrence avec personne, Justine Triet c’est une immense cinéaste, elle a vraiment plus de métier… On parle de grands et je me sens, pas vraiment imposteur parce que c’est un peu grand, mais outsider de fou, quoi. Tant mieux, je vais pas bouder mon plaisir. C’est comme si j’avais 16 ans et que je jouais mon premier match en Ligue 1 avec Mbappe. Je suis Zaïre Emery (jeune joueur du Paris Saint-Germain, ndlr), en fait (rire). J’étais là d’ailleurs quand il a marqué son premier but en Ligue 1 et c’était contre Montpellier. Mais bon, même dans les festivals, la concurrence, l’idée d’avoir le prix du meilleur… Non. Pour moi chaque film est différent. Je suis tellement admiratif de tous les films en compétition. Si je m’écoutais je voterais pour untel, untel, untel… (rire). Moi je vois tous les défauts de mon film et je vois pas ceux des autres alors…

Vous avez fait un parallèle avec le foot qui est l’une de vos passions. Souvent on oppose bizarrement le sport à la culture.

Bah oui. Si vous écoutez Albert Camus ou Nietzsche ils ne vous diront pas ça. Je pense qu’il y a un mépris de classe vis-à-vis du foot, on peut être vraiment méprisant en détestant le foot ou en l’opposant à la culture. On parle du foot business, de l’argent, mais à ce moment-là on regarde pas de film non plus parce que quand on voit le salaire de certains acteurs sur certains films… Dans ce cas on lit pas de bestseller, on écoute pas de musique… Mariah Carey, Michael Jackson… Non, pour moi c’est complètement relié. Même avec Anthony et Raphaël on ne parlait que de foot. Pendant la direction d’acteurs franchement je crois que la moitié de ce que je leur ai dit était relatif au foot. Du coup non, ça fait vraiment partie de ce qui m’a constitué le football. C’est un sport d’équipe, il y a le rapport au collectif. Après je sais pas, après c’est ma passion et je veux pas faire de grands liens avec le cinéma, mais opposer le foot ou le sport à l’art ou à la culture, opposer l’esprit au corps, pour moi c’est vraiment n’importe quoi et c’est presque ne rien comprendre à l’humain et à la biologie. Les Grecs à l’époque ne diraient pas le contraire. Même Platon, c’était un athlète. C’est un peu un vieux cliché et ceux qui sont convaincus que ça doit être opposé, je suis assez inquiet pour eux.

Un film sur le foot c’est dans vos projets ?

Ouais, le deuxième c’est pas sur le foot mais il y a une arène de foot amateur… Sur le foot amateur oui, après le foot pro, ça reste ma passion à côté. Un documentaire peut-être sur le Montpellier Hérault mais Canal+ en a fait un. En tout cas le matérialiser et mettre le foot dans mes films oui. Après sur le foot pourquoi pas un jour. Dans Chien de la casse c’était obligé qu’il y ait un petit match de village. Les mecs ils tapent le foot quoi. Et je pense que Dog il est supporter du Montpellier Hérault. Comme le foot est dans ma vie, même si j’ai jamais rêvé d’être footballeur… enfin si, un peu entre six et huit ans dans la cour de l’école (rire). Comme l’alcool, ou la lecture… Ce sont des sujets qu’on ne met pas au cinéma. Le rapport à l’alcool on en parle pas par exemple. Soit on traite l’alcoolisme, soit il y a pas d’alcool. Le foot soit c’est un sujet, soit il y en a pas. J’aime bien que mes films ressemblent à ma vie. Des fois j’aime bien boire, j’aime bien lire, j’aime bien jouer au foot donc dans mon film Dog il boit une bière, il lit un livre, il joue au foot, il joue à Fifa… D’ailleurs ça a marqué Fifa parce que les gens me disent que les personnages passent toute la journée à jouer à Fifa, alors qu’il y a qu’une scène. J’ai plein de potes qui jouent aux jeux vidéo mais ça veut pas dire qu’ils font ça toute la journée. Je l’ai pas mis comme un truc récurrent… ça veut dire que ça a marqué et qu’on le voit pas trop au cinéma. Je me suis dit que c’était peut-être parce qu’on le voit dans la scène d’exposition, donc on signifie au spectateur que c’est ça leur quotidien. C’était intéressant de voir ça pour mes prochains films, de voir qu’en fonction d’où on place l’élément, c’est vécu comme un truc fort. J’ai mis plein de choses qui sont en moi dans le film. J’aime bien manger aussi (rire). Spaghetti carbonara c’est sacré (rire) !

Est-ce que vous avez des projets prochainement ?

J’ai eu un projet comme acteur en novembre décembre et c’était la première fois que je tournais un vrai rôle sur un long. C’était chouette et j’imagine que ça va sortir dans l’année. Et en réalisation j’écris un film qui s’appelle L’Homme qui a peur des femmes et que je re-signe avec Insolence Production.

Le titre fait penser à un film qui a été tourné à Montpellier justement…

L’homme qui aimait les femmes de Truffaut. Je dirai absolument pas que c’est un hommage, mais il y a un clin d’oeil évidemment. Mais c’est tout le contraire. C’est une version 2022 (rire).

Martin Loucheux

Cinéphile rompu à l’exercice de la décortication et de la critique d’une œuvre, Martin Loucheux analyse pour Snobinart les dernières sorties cinéma. Il partage ainsi sa passion et ses avis avec le lecteur, autour des films les plus attendus.

Également dans : Snobinart N°17
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