45e Festival Montpellier Danse : Une première semaine plurielle

Après une première semaine de représentations, retour sur les temps forts de la programmation artistique de cette 45e édition de Montpellier Danse, marquée par une pluralité des esthétiques, des horizons et des approches.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
7 mn de lecture

Samedi dernier, la grande salle du Corum restait désespérément silencieuse. Là pourtant devait se donner, en grande pompe artistique et politique, le coup d’envoi du cru 2025 du festival Montpellier Danse. La réalité géopolitique – la guerre, sans euphémisme inutile – aura eu raison de la venue de la très attendue compagnie israélienne qu’est la Batsheva. Clouée au sol comme leur avion qui ne décollera jamais de l’aéroport fermé de Tel Aviv, la troupe a dû annuler ses trois représentations montpelliéraines. Quelques jours plus tard, elle annonçait également ne pas pouvoir honorer les dates prévues en juillet à la Grande Halle de la Villette à Paris. Le geste de programmation avait beau être fort, il n’en restait pas moins risqué. Heureusement, d’autres artistes allaient bientôt pouvoir s’emparer du festival pour lui donner tout son souffle.

« Friends of Forsythe » © Laurent Philippe

Vaille que vaille, il fallait bien que cette quarante-cinquième édition soit lancée. Un dimanche soir, pourquoi pas ? Sous la chaleur qui s’est abattue sur la place de la Comédie, les centaines de spectateurs affluent à l’Opéra pour découvrir Thikra d’Akram Khan et Manal AlDowayan, une étrange messe à la chorégraphie élémentaire. Le temps que la nuit tombe un peu et que les températures deviennent presque agréables, il est ensuite l’heure d’assister à l’épatant «   » de Camille Boitel et Sève Bernard. Dans le Théâtre de l’Agora, la chute devient un tremplin, l’échec une chance et les sourires accompagnent cette première soirée. Tout va bien, le festival est lancé, il se développe déjà dans tout l’éclectisme qui le caractérise année après année.

Désormais, l’heure n’est plus à l’attente mais à l’instant présent. Chaque jour à Montpellier est nécessairement marqué par la danse, des premières chaleurs matinales dans lesquelles prennent place les grandes leçons données par les artistes de la programmation, jusqu’aux premiers rayons de lune qui accompagnent la sortie des derniers spectateurs de la soirée. Au cœur de cela – et c’est peu dire –, les représentations se poursuivent, comme celles de la pièce d’étude Of the Heart d’Armin Hokmi, qui travaille déjà à la création de sa prochaine pièce prévue pour 2026. Le chorégraphe iranien investit pour cela la cour de l’Agora, entre-temps rebaptisée cour Montanari en hommage à l’historique directeur du festival. De l’autre côté du mur, la fidèle Nadia Beugré défend sa dernière pièce Épique ! (Pour Yikakou) dans le studio Bagouet. D’un espace à l’autre, la danse s’exprime par tous les moyens.

« La Liesse » de Pierre Pontvianne © Laurent Philippe

Au Théâtre La Vignette, c’est Pierre Pontvianne qui est aux commandes avec La Liesse. Sur un plateau vide, délimité en fond de scène par une interminable série de miroirs tournés vers le public, le chorégraphe s’intéresse à la foule comme matière à écrire. En entremêlant les corps de ses interprètes dans un ballet extrêmement fluide, il arpente les différentes configurations possibles du groupe comme entité. Dans un mouvement qui semble éternel, le rythme subit des modulations. Les accélérations et les ralentissements suggèrent quelque chose qui déraille progressivement, tandis qu’à la danse liquide des premiers instants se juxtaposent des à-coups. Quelle part d’individualité est nécessaire à la construction d’une foule ? Quelle part de cette multitude recelons-nous en chacun de nous ? Pierre Pontvianne donne des pistes sans réponse avec cette pièce hautement hypnotique.

Au Théâtre Jean-Claude Carrière de la Cité européenne du théâtre, c’est une danse à l’état brut qui se développe et se transmet. Eux aussi regroupés comme une communauté, les interprètes de Friends of Forsythe entament pourtant une toute autre approche. En invitant les spectateurs à s’installer de part et d’autre du plateau, lui-même concentré sur l’essentiel – à savoir un carré de praticable gris au sol et quelques panneaux led en guise d’éclairage –, les artistes s’emparent de la matière première de la danse, le mouvement. Ici, à peine quelques trames sonores essentiellement composées de larsens s’échappent des enceintes. Le reste des sons n’est que souffle, grincement de parquet ou quelques rares échappées vocales, de quoi se concentrer sur le geste initial, là d’où toute chorégraphie part et s’écrit, quelle qu’elle soit.

« Figures in extinction [2.0] » de Crystal Pite et Simon McBurney © Rahi Rezvani

Et puis il y a le Corum, enfin et malgré tout, avec l’un des rendez-vous les plus attendus de cette édition. Sur scène, le Nederlands Dans Theater, auréolé du Prix de la critique de la meilleure compagnie de danse en 2024. Dans une pièce en trois volets écrite à quatre mains par Crystal Pite et Simon McBurney, vingt-sept interprètes mettent en regard l’extinction des espèces qui nous entourent et notre propre rapport à la mort, le tout sous le contrôle permanent du capitalisme. Dans sa double approche danse et théâtre héritée des univers de ses deux créateurs, Figures in extinction est aussi puissant dans l’écriture que dans l’interprétation, sans compter que la scénographie et les lumières sont d’une précision remarquable. Le fond du propos rejoint alors la forme du spectacle, qui ancre profondément ses nombreuses et sublimes images dans la rétine.

Il en reste, des pièces à voir et des artistes à suivre, dans la deuxième semaine à venir du 45e festival Montpellier Danse. Là aussi, les esthétiques et les écritures devraient se rencontrer, s’entremêler ou se confronter. Une chose est sûre, d’un lieu à l’autre le public est nettement au rendez-vous. Dans la pluralité de sa programmation sans concession, l’événement continue de construire son identité multiple pour dresser, année après année, le portrait d’une danse plus essentielle que jamais.


45e Festival Montpellier Danse
Du 21 juin au 5 juillet 2025

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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