Assister à une représentation de Capharnaüm est une expérience théâtrale à part entière. Pas seulement par l’aspect performatif qu’apportent l’improvisation et le travail technique réalisé en direct, mais avant tout par la conception sensible et esthétique de la forme artistique dans son ensemble. Valérian Guillaume ne sert pas ici un récit avec un début et une fin, récit duquel il conviendrait de ne pas décrocher pour être certain de ne rien manquer. Au contraire, l’auteur et metteur en scène travaille sur la mise en écho d’images, de sons, de mots qui s’entremêlent et se superposent, finissant par créer une forme qui explore d’innombrables pistes de travail qui semblent aller vers la définition d’une certaine identité artistique.
Tour à tour intarissable ou longtemps muet, fouillis ou très ordonné, ce Capharnaüm de la parole, des corps et des objets devient l’espace d’une ultime tentative pour garder un lien avec les disparus, ou pour construire quelque chose à partir de leur souvenir. De cet amas de sons, de lumières et d’accessoires, comme trouvés dans un état figé, se façonne sous les yeux du public un “après” possible, tout fantasmé soit-il. De logorrhées psalmodiées en transes chorégraphiques, Valérian Guillaume donne à son poème théâtral une dimension presque mystique qui, s’affranchissant de la nécessité d’une narration traditionnelle, propose une plongée entre poésie et curiosité.
Car au-delà du travail considérable mené en direct par les artistes au plateau comme en régie, Capharnaüm – poème théâtral se démarque par une écriture scénique et dramaturgique aussi singulière que cohérente. S’entourant d’une équipe pluridisciplinaire qui lui permet d’alimenter sa recherche d’une expérience totale, Valérian Guillaume développe ici toute une palette d’outils et de media qui semble constituer les fondements de son art, dont on retrouvait déjà quelques aspects dans sa dernière création Richard dans les étoiles. Et parce qu’il ne cède rien à la convenance, en prenant le parti de porter au plateau un geste créatif à part entière, l’auteur-metteur en scène figure sans aucun doute parmi les artistes à suivre de près, ne serait-ce que par l’originalité et la rareté de sa pratique.