Œdipe roi fait partie des œuvres dont on connaît l’issue mais qu’il est toujours plaisant de redécouvrir. Et cette version mise en scène par Éric Lacascade en ouverture du Printemps des Comédiens est sans conteste à la hauteur de l’événement. Avec un texte vieux de plus de deux millénaires, il parvient avec son équipe à imposer une identité résolument contemporaine à cette tragédie antique.
Commençons par le commencement, avec ce qui nous saute aux yeux dès l’entrée sur le terrain de jeu de cette pièce monumentale. Au cœur de l’Agora à Montpellier, les murs du bâtiment se confondent dans un naturel déconcertant avec les décors du plateau. Ici, dans un équilibre asymétrique, tout n’est déjà plus que ruines d’un temps passé, héritage et annonciateur d’une descente infernale. Une colonne grecque isolée continue de tenir debout tandis qu’autour d’elle les socles de constructions disparues font l’effet de tombeaux qui jalonnent le sol de Thèbes.
Puis vient Œdipe, premier citoyen de la ville qui, dans un élan dont on peine à deviner les motivations sincères, s’adresse au public comme à son peuple, toujours témoin malgré lui. Un discours des plus politistes au cours duquel les mots sont pesés, les gestes assurés, le flegme maîtrisé. Difficile de ne pas voir ici une métaphore qui tisse un lien à travers les siècles. Thèbes subit une grande épidémie, sa population est en colère et peu à peu les soupçons de complots jaillissent dans tous les esprits.
Comme dans les plus grandes tragédies grecques, le texte révèle toute son importance dans cette version. Mais la façon dont il est dit, porté et mis en voix ici lui apporte un relief nouveau. On y garde dans l’ensemble l’essence de la déclamation tragique, mais sans que celle-ci ne perturbe les spectateurs de notre ère. Tout comme pour la scénographie, c’est un juste jeu d’équilibre qui se fait, alors que tout, des décors aux costumes en passant par la lumière, tend à soutenir ce texte comme élément primordial de la pièce. Et s’il serait incomplet de ne pas relever quelques rares moments de déraillements dans la justesse, il serait tout aussi malhonnête de ne pas rappeler qu’il s’agissait là de la toute première représentation de ce spectacle.
Là où Éric Lacascade réussit un vrai tour de force, en revanche, c’est sur l’apport au sein même de la tragédie de quelques soupçons de comédie. Ils sont épars, légers et fugaces, mais permettent au public de notre ère de se raccrocher au récit, pourtant terrible, qui leur est proposé. Et bien que l’équipe artistique du spectacle n’y soit pas pour grand-chose, le vent chaud qui soufflait par rafales sur le plateau ce soir de première a apporté une dimension dramatique à l’ensemble, lui donnant une ampleur et un écho particulièrement intéressants.
Le Printemps des Comédiens est donc bel et bien lancé. On y aura vu un Œdipe aussi tyran que torturé, aussi trompeur que candide, un grand enfant qui se voulait adulte mais refusait de croire au monde auquel il prenait part. Cet Œdipe roi conçu par Lacascade est déjà incontournable et se jouera jusqu’au 5 juin dans le cadre du festival.
TEXTE
SOPHOCLE
MISE EN SCENE
ERIC LACASCADE
AVEC
EMIL ABOSSOLO MBO, ALEXANDRE ALBERTS, LESLIE BERNARD, ALAIN D’HAEYER, CHRISTOPHE GREGOIRE, ERIC LACASCADE, JEROME BIDAUX, CHRISTELLE LEGROUX, AGNES SOURDILLON, LEONOR SINTES, SACHA NAVARRO VALETTE, MATHILDE GAUMAIN, SHIREL GIRYNOWICZ
SCENOGRAPHIE
EMMANUEL CLOLUS
LUMIERES
STEPHANE BABI AUBERT
SON
MARC BRETONNIERE
COSTUMES
SANDRINE ROZIER
DECORS
ALBAKA