Le rythme est assommant, les basses assourdissantes, et dans cet espace scénique qui se réduit à l’horizon, trois corps se rencontrent, s’attirent, s’imitent et s’alimentent. Les mouvements ne sont pas vraiment naturels, ils se construisent et se déconstruisent au gré de la musique et du rapport à l’autre, aux autres. Pour cette pièce à l’esprit psychédélique, Sylvain Huc s’est inspiré d’une fin de nuit berlinoise. Cette rencontre d’un lieu et d’une temporalité qui ouvrent à la liberté d’être soi, le chorégraphe en fait un spectacle qui s’attache aux ressentis, aux émotions, aux sensations.
La nuit, cet étranger que l’on fuit en cherchant la lumière et qui finit toujours par nous rattraper, est aussi l’environnement le plus propice aux expressions du corps et de l’esprit. Que l’on s’y sente en danger ou au contraire à l’abri, nos gestes et nos interactions sont systématiquement remodelés une fois l’obscurité tombée. Par un habile travail des lumières et des perspectives, qui tarde toutefois un peu à s’assumer, Nuit met cela en scène d’une façon parfois abstraite qui se rapproche de la transe.
Ce qui est très concret, en revanche, c’est cette recherche autour de l’individu, dont le comportement s’adapte naturellement à celui du groupe. Chez Sylvain Huc, la vie nocturne est propice au rapprochement des corps, elle ouvre même tout le champ des possibles, dans les faits comme dans l’imaginaire. Tantôt sensuelle et extatique, parfois subie et contraignante, cette promiscuité donne lieu à des tableaux surprenants, dérangeants aussi, mais inévitablement percutants. Certains passages tiennent même de la performance à part entière pour les trois danseurs qui composent la distribution.
Cette image du triangle est d’ailleurs indissociable de la pièce. C’est sur cette forme que tout repose, de la chorégraphie à la scénographie. Reconnu comme la forme géométrique la plus solide, le triangle se caractérise ici à tous les niveaux, jusque dans l’interprétation du sous-texte. Arrivés là pour une quelconque raison, les trois corps qui habitent le plateau développent peu à peu une interdépendance, au point de ne plus pouvoir avancer seuls. Difficile en tout cas de ne pas se laisser emporter par la transe des interprètes qui, affirmée par une musique très underground, mène à une certaine déshumanisation qui interroge.