Mathilde Monnier ravive les braises d’une lutte sans fin

Les créations s’enchaînent au festival Montpellier Danse, cette fois sous la direction de Mathilde Monnier, qui présente dans le théâtre ouvert de l’Agora sa dernière pièce Black Lights. S’inspirant de la série Arte H24, la chorégraphe signe un constat social de l’ordre du manifeste en faveur de la parole des femmes, dans une écriture qui tient autant de la danse que du théâtre.

Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Montpellier Danse
3 mn de lecture
© M. Coudrais

Elles sont huit à prendre place sur scène, encore dans la pénombre tandis que les gradins, pleins à craquer, sont baignés de lumière. Huit femmes venues prendre la parole et l’espace qu’on leur a destiné pour enfin crier au monde ce qu’elles ont vu, vécu ou entendu, ce qu’elles voient, vivent et entendent jour après jour. Sous la contrainte de leurs talons, elles se plient, se compriment, se contorsionnent, victimes de la pression qui les écrase, celle des hommes bourreaux et de la société qui n’évolue pas. Sous les postures contre nature qu’elles sont forcées d’adopter, le plateau si noir et si vierge se blanchit des traces que laissent toutes les luttes du quotidien.

Dans Black Lights, Mathilde Monnier s’empare d’une sélection de textes écrits pour la série Arte H24 qui, entre documentaire poignant et manifeste, relate les combats perpétuels que les femmes ont à mener dans leur quotidien. Des réflexions insidieuses et répétées d’un supérieur hiérarchique au joug des menaces conjugales, en passant par le harcèlement de rue, chaque texte sélectionné pour cette création met au jour un pan de cette violence banalisée. Et si l’impact de chacun de ces témoignages est déjà percutant de manière isolée, c’est ici la succession, l’accumulation et l’accélération de ces paroles et des gestes qui les accompagnent qui donnent au propos une ampleur décuplée.

Construit dans un rythme qui alterne le discours et le mouvement, le second venant alors soutenir le premier pour en appuyer le sens, Black Lights prend peu à peu une dimension cathartique plus que politique. Non pas que le propos ne touche pas, bien au contraire, mais c’est alors le travail du corps qui vient donner une dimension particulièrement profonde, instinctive, viscérale, aux paroles déjà difficiles à accepter. Les années, parfois les décennies de silence et de résignation se réveillent alors comme le feu d’un volcan et nous explosent en pleine face, sur les braises encore fumantes d’une forêt calcinée dont la fumée, partant en volutes au gré du vent qui souffle dans l’Agora, crée des images fortes d’un incendie qui n’en finit jamais de sévir.

Ainsi habité des cendres des combats passés et des braises ardentes de ceux qui se poursuivent au travers des interprètes, le plateau se fait témoin et acteur d’un sujet on ne peut plus nécessaire, actuel et universel. L’entrelacement du théâtre et de la danse imaginé par Mathilde Monnier constitue en ce sens un medium pluriel qui touche aussi plus largement, l’expression même de son propos devenant indispensable là où sa forme, elle, trouvera toujours un chemin.


Peter Avondo

Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse.
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