Le TNP fait une rentrée radicale avec Joris Mathieu et Alice Laloy

Parmi ses premiers rendez-vous de cette nouvelle saison, le Théâtre National Populaire est devenu en octobre l’écrin de deux créations que le hasard a mis en écho : Cornucopia de Joris Mathieu et Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy. Derrière ces deux dystopies se cachent aussi deux approches radicales du spectacle vivant.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Créé au TNP Villeurbanne
9 mn de lecture

Au Théâtre National Populaire souffle un vent de jamais-vu en ce début de saison 24-25. En partenariat avec le Théâtre Nouvelle Génération – CDN de Lyon, l’institution villeurbannaise est devenue l’antre de ce qui ne se fait pas encore, là où naissent des formes qui sortent des sentiers battus et des esthétiques convenues. Dans leur propos comme dans leur mécanique, Cornucopia de Joris Mathieu et Le Ring de Katharsy d’Alice Laloy semblent trouver dans leur originalité une réponse tacite aux univers totalitaires dans lesquels ils évoluent. De ces deux dystopies, qui ont cependant peu en commun, se dégage en réalité une évidence : face à l’extrême, la radicalité artistique apparaît comme la seule solution.

Un spectacle néo-disciplinaire

Le spectacle vivant que l’on pouvait catégoriser selon sa discipline en lui assignant des cases bien bornées a fait son temps, et ce n’est pas nouveau. Mais si les arts de la scène nous ont depuis longtemps habitués à la pluridisciplinarité, à travers des spectacles qui combinent plusieurs pratiques – avec plus ou moins de succès ou de pertinence –, ces formes n’ont pas pour autant créé de véritable révolution. Il existe une raison simple à cela : toute remise en question profonde – en l’occurrence de la pratique du spectacle vivant – nécessite une réinvention totale, autrement dit une approche radicale. Il n’y a en effet qu’en retravaillant depuis les racines mêmes de leurs arts, donc en s’affranchissant des cadres normatifs qu’ils ont hérité, que les artistes peuvent se donner la chance de réimaginer l’inconnu ; en somme, de repartir de zéro et développer une écriture néo-disciplinaire.

Cornucopia © Nicolas Boudier

C’est en tout cas la logique que semblent avoir suivi Alice Laloy et Joris Mathieu indépendamment l’un de l’autre, à travers la conception d’un langage, d’une plastique, d’une technicité et d’un rapport scénique à part entière. Pourtant les deux metteurs en scène n’hésitent pas à convoquer des références très traditionnelles dans leurs créations respectives. Si pour Cornucopia le rapport scène/salle est repensé jusqu’à se défaire des gradins existants au profit d’une nouvelle configuration qui n’est pas sans évoquer les hémicycles, c’est une disposition frontale très théâtrale qui attend le public du Ring de Katharsy. Dans un cas comme dans l’autre, l’innovation se situe bel et bien ailleurs. Elle ne s’affirme pas d’emblée, elle s’éprouve au fil de la représentation.

Un autre niveau de dramaturgie

Il y a effectivement, dans la conception de ces deux pièces, l’idée d’un spectacle qui serait fait pour être vécu plutôt que pour être vu. Cela ne veut pas dire qu’il renonce au récit, à la performance ou à l’ingéniosité, mais qu’il trouve au contraire toute sa force dans l’équilibre de ces éléments qui le composent. Ceux-ci sont alors développés en interdépendance au bénéfice d’un spectacle que l’on peut qualifier de complet précisément parce qu’il confond les disciplines entre elles au lieu de les superposer les unes aux autres.

Le Ring de Katharsy © Simon Gosselin

S’échiner à produire effet sur effet pour concevoir une pièce qui ne ressemble à aucune autre en occultant le propos n’a rien de novateur ni de constructif. Et c’est sans doute là que, sans en être les précurseurs, Joris Mathieu et Alice Laloy se font porte-parole d’un spectacle vivant qui s’insurge dans sa structure même. Comme le TNP marqué par d’importantes révolutions culturelles et de nombreux combats dans son histoire politico-artistique, Cornucopia et Le Ring de Katharsy font ainsi sens dans les questionnements qu’elles soulèvent autant que dans leurs concrétisations au plateau. En propageant l’écriture dramaturgique dans les moindres composantes de la création (voix, corps, scénographie, machinerie, technique…), les metteurs en scène et leurs équipes donnent d’autant plus d’ampleur à ce qu’ils sont venus raconter : l’insurrection contre un système qui écrase.

Car en l’occurrence, les dystopies qui tiennent lieu de cadres narratifs n’ont rien de particulièrement attirant. La société post-apocalyptique sectaire trop parfaite de Cornucopia n’a rien à envier à l’impitoyable et mortel univers du jeu vidéo développé dans Le Ring de Katharsy. Pourtant les deux pièces osent à peine grossir les traits d’une société que nous connaissons déjà trop bien, à ceci près que ces mondes qu’on nous présente finissent par prendre fin. Reste-t-il donc à notre espèce à prendre exemple sur Joris Mathieu et Alice Laloy afin de retravailler depuis les racines mêmes de nos sociétés ?


Cornucopia – D’autres mondes possibles (épisode 2)

Crédits

avec : Philippe Chareyron, Vincent Hermano, Marion Talotti / texte et mise en scène : Joris Mathieu / dispositif scénique et dramaturgie : Joris Mathieu et Nicolas Boudier / scénographie et lumière : Nicolas Boudier / musique : Nicolas Thévenet / vidéo : Siegfried Marque / costumes et accessoires : Rachel Garcia assistée de Véronique Lorne, Marlène Hemont et de l’atelier de costumes du TNP / construction de la scénographie : les ateliers du TNP et l’équipe technique du TNG / régie générale et régie plateau : Stephen Vernay

Dates
  • 4 au 6 décembre 2024 à La Comédie de Valence
  • 8 au 10 janvier 2025 aux 2 Scènes Besançon
  • 30 janvier au 1er février 2025 au Lieu Unique Nantes
  • 4 au 6 février 2025 au Théâtre Saint-Nazaire

Le Ring de Katharsy

Crédits

écriture et chorégraphie d’Alice Laloy en complicité avec l’ensemble de l’équipe artistique / avec Coralie Arnoult, Lucille Chalopin, Alberto Diaz, Camille Guillaume, Dominique Joannon, Antoine Maitrias, Léonard Martin, Nilda Martinez, Antoine Mermet, Maxime Steffan et Marion Tassou / regard chorégraphique – Stéphanie Chêne / assistanat à la mise en scène – Stéphanie Farison / scénographie de Jane Joyet / lumière de César Godefroy / son de Géraldine Foucault / musique de Csaba Palotaï / recherche, dessin et développement des systèmes de lâchés : Christian Hugel / costumes – Alice Laloy, Maya-Lune Thiéblemont, Anne Yarmola / recherche et développement des accessoires et objets : Antonin Bouvret / renfort construction – Julien Joubert / accessoires et objets – Antonin Bouvret / création graphique et vidéo – Maud Guerche / typographie – MisterPixel, Christophe Badani / assistanat création vidéo – Félix Farjas / regard cascades – Anis Messabis / assistante-stagiaire mise en scène – Salomé Baumgartner / stagiaire costumes : Esther Le Bellec / régie générale – Sylvain Liagre en alternance avec Baptiste Douaud, régie plateau – Léonard Martin, régie lumière en tournée Elisa Millot, régie son en tournée : Géraldine Foucault en alternance avec Arthur Legouhy / confection des décors – Les Ateliers du Théâtre National de Strasbourg (TNS)

Dates
  • 14 novembre 2024 : Le Bateau-Feu, SN de Dunkerque
  • 20 au 29 novembre 2024 : Théâtre National de Strasbourg
  • 5 au 16 décembre 2024 : T2G – Théâtre de Gennevilliers – Festival d’Automne Paris
  • 9 au 10 janvier 2025 : La rose des vents – Scène Nationale Lille Métropole Villeneuve d’Ascq
  • 26 février au 1er mars 2025 : Théâtre Olympia – CDN Tours, l’Hectare, les Territoires vendômois – Centre Nationale de la Marionnette & l’Université de Tours
  • 13 au 14 mars 2025 : Malakoff Scène Nationale dans le cadre du Festival Marto
  • 20 au 21 mars 2025 : Théâtre d’Orléans – Scène Nationale
  • 3 au 4 avril 2025 : Théâtre de l’Union – CDN Limoges
  • 9 au 10 avril 2025 : La Comédie de Clermont-Ferrand – Scène Nationale
  • 23 au 26 novembre 2025 : ThéâtredelaCité CDN Toulouse

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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