Le Printemps des Comédiens met l’accent… sur l’accent

Voilà déjà deux semaines que le festival montpelliérain bat son plein au rythme d’une programmation riche et variée. Pour cette nouvelle étape marquée par les accents autour de trois spectacles, direction la Scène en Grand Pic Saint-Loup à Saint-Gély-du-Fesc, avant de revenir dans l’antre du Printemps, au Domaine d’O à Montpellier.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture Vu au Printemps des Comédiens
12 mn de lecture

Le Printemps des Comédiens se poursuit dans sa troisième semaine, au Domaine d’O ou ailleurs. Au gré d’une programmation qui mêle les formes traditionnelles aux recherches scénographiques plus novatrices, les artistes continuent de se partager les scènes montpelliéraines à la rencontre des publics. Dans cette diversité, pourtant, des points communs apparaissent, et c’est autour de la question de l’accent que se répondent trois spectacles de cette nouvelle semaine : Parler pointu de Benjamin Tholozan et Hélène François, Life is not a picnic du Collectif cosmolyglotte et la nouvelle création de Joël Pommerat, Marius d’après Pagnol.

Parler pointu, l’accent qu’il fallait perdre

Parce qu’il avait pour ambition d’entrer dans des écoles de théâtre et qu’on lui a fait comprendre que son accent nîmois serait un obstacle à sa réussite, Benjamin Tholozan a travaillé, dur et longtemps, pour perdre la musicalité dans sa voix. Peu à peu, il a appris à “parler pointu”, selon l’expression consacrée qu’utilisait son grand-père, c’est-à-dire à parler comme on le fait à Paris. Et c’est précisément en voulant rendre hommage à son grand-père, en lisant un poème en occitan à son enterrement, que Benjamin Tholozan a renoué avec tout un pan disparu de ses attaches à sa région.

Parler Pointu © Marie Charbonnier

Convoquant au plateau symbole sur symbole, de la gardianne de taureau aux chants traditionnels, en passant par la corrida ou les légendes locales de son enfance, Benjamin Tholozan s’appuie sur des personnages stéréotypés et des effets d’écriture qui le rapprochent du one man show comique. Accompagné sur scène de son musicien Brice Ormain, il cherche pourtant à porter un récit avec plus de profondeur, au risque d’une pédagogie parfois trop appuyée. Car au-delà de cet accent du sud qu’il a été contraint de perdre, c’est toute une histoire de la langue française qu’il essaie de raconter dans Parler pointu. Mais avec le peu de temps dont il dispose, difficile d’être complet sur un sujet aussi vaste.

La question de la tradition occitane, elle, trouve bel et bien son chemin à destination d’un public héraultais qui partage avec ferveur les chants et l’héritage de son histoire. Mais dans cette pièce dont l’échelle voudrait varier de l’intime à l’universel, c’est le récit personnel qui l’emporte et qui, en dépit de toute sa sensibilité, prend le pas sur l’entièreté du propos qui l’accompagne.

Life is not a picnic, l’accent qu’il fallait inventer

Depuis leur kiosque en bois construit comme une alternative en période de Covid, le Collectif cosmolyglotte joue sa toute nouvelle création, Life is not a picnic, dans la prairie du Domaine d’O. À la nuit tombée, l’étrange abri – qui pourrait aussi bien se mettre à décoller pour retourner dans l’espace – devient le lieu de rencontres d’un autre type, au carrefour du jazz, de la plaisanterie et du paranormal. Ici, tout le tempo semble martelé par David Bursztein, tantôt crooner jouant de ses charmes, tantôt chansonnier imitant les accents, qui emporte avec lui ses musiciens dans une virée d’une heure qui n’a qu’un seul objectif : embarquer tout ce petit monde vers l’esprit de fête.

Life is not a picnic © Shelomo Sadak

Conçu main dans la main avec Georges Lavaudant et en s’alimentant de multiples regards extérieurs, le Collectif cosmolyglotte propose avec Life is not a picnic une expérience qui va plus loin que le simple concert de jazz. Vient notamment se mêler à la musique la présence chorégraphique et très poétique d’Eliot Orcier Pineau et Gines Gabarron, qui apportent à l’ensemble une dimension circassienne avec une légèreté bienvenue sur ce décor figé. Dans cette étrange parenthèse, la scénographie invite néanmoins à la convivialité et à la proximité, comme pour anticiper le moment de partage qui attend peu après les artistes et le public juste à la fin de la représentation.

Marius, l’accent qu’il fallait retrouver

Depuis bientôt cent ans, chaque nouvelle version de Marius ou de toute autre pièce de la trilogie de Marcel Pagnol s’accompagne de l’irrémédiable question de l’accent. Dans la version revisitée par Joël Pommerat, que les puristes se rassurent, le chantonnement des intonations marseillaises est bien présent, en partie. Pourtant, le metteur en scène ne s’en est pas tenu à la pièce originale, loin s’en faut. Au fil d’un atelier mené avec des détenus de la Maison Centrale d’Arles, ce sont des improvisations qui ont peu à peu forgé une nouvelle vision de l’intouchable Marius, lui donnant une lecture probablement plus contemporaine, précisément parce que façonnée par des regards actuels.

Marius © Agathe Pommerat

C’est ainsi dans un commerce hybride entre la boulangerie et le salon de thé que se tient cette pièce. Écrasés par des murs gris et ternes qui participent de la quotidienneté du texte, les personnages devenus cultes se retrouvent toujours confrontés au désir de liberté, à l’amour, à la réussite et à l’argent. Mais sans la gouaille du sud et avec une énergie qui peine à s’équilibrer et à connecter les interprètes entre eux, difficile de s’attacher à ce qu’il se passe au plateau. Malgré les efforts et les volontés, le texte de Pagnol qui point encore de cette revisite, ne serait-ce que par essence, s’efface derrière une alchimie qui ne prend pas.


Parler pointu
Création 2023 – L’Éclat
Vu à La Scène en Grand Pic Saint-Loup (St-Gély-du-Fesc) avec le Printemps des Comédiens

Crédits

Avec : Benjamin Tholozan et Brice Ormain / Conception, écriture : Benjamin Tholozan / Écriture, dramaturgie et mise en scène : Hélène François / Création lumière : Claire Gondrexon  / Création sonore : Brice Ormain / Scénographie : Aurélie Lemaignen / Régie générale : Thibault Marfisi et Nina Herbute-Lafont

Dates
  • Du 11 au 13 juin 2024 : Printemps des Comédiens – Montpellier
  • Du 3 au 21 juillet 2024 : Festival OFF Avignon, La Manufacture – Intramuros, Avignon
  • 17 juillet 2024 : Festival CONTRE COURANT, CCAS, Ile de la Barthelasse – Avignon
  • 30 juillet 2024 : Théâtre du Fort Antoine, Monaco

Life is not a picnic
Création 2024 – Printemps des ComédiensDomaine d’O – Montpellier

Crédits

Avec : David Bursztein, Eliot Orcier Pineau, Gines Gabarron et Elyzabeth Ernoult / Musiciens : Adlane Aliouche, Félix Semet, Jean-Baptiste Baldazza, François Dommergue, Alex Lacono, Fabien Torres, Rubinho Antunes, Léo Jeannot, Rémi Flambard, Lucille Moussalli, Greg Juillard, Lucas Desroches, Gaby Schenke, Fanny Martin, Pascal Bouvier et Ludo Fish. / Mise en scène : David Bursztein, Georges Lavaudant / Assistante à la mise en scène : Elyzabeth Ernoult / Sous le regard amical de Claire Dancoisne, Sylvie Orcier, Patrick Pineau / Arrangements : Patrick Najean, Vincent Pagliarin, Nacim Brahimi, Emmanuel Valeur, David Bursztein et Gil Lachenal / Direction musicale : Vincent Stephan / Décors : François Gourgues / Lumière : Ronan Cabon, Georges Lavaudant / Son : David Bursztein, Ludo Fish et Laurent François / Ecriture : David Bursztein / Costumes : Elyzabeth Ernoult / Régie Générale : Pascal Bouvier

Dates
  • Du 12 au 15 juin 2024 : Printemps des Comédiens – Montpellier
  • Du 4 au 21 juillet 2024 : Festival d’Avignon dans la programmation de La Manufacture, à la Societe Nautique d’Avignon sur l’île de la Barthelasse

Marius
Création 2024 – La Coursive – La Rochelle
Vu au Domaine d’O avec le Printemps des Comédiens

Crédits

Avec : Damien Baudry, Élise Douyère, Michel Galera, Ange Melenyk, Redwane Rajel, Jean Ruimi, Bernard Traversa, Ludovic Velon / En collaboration avec : Caroline Guiela Nguyen et Jean Ruimi / Scénographie et lumière : Éric Soyer / Assistante à la mise en scène : Lucia Trotta / Assistant à la mise en scène : Guillaume Lambert / Direction technique : Emmanuel Abate / Direction technique adjointe : Thaïs Morel / Costumes : Isabelle Deffin / Création sonore : Philippe Perrin et François Leymarie / Renfort assistant : David Charier / Régie son : Philippe Perrin et Fany Schweitzer / Régie lumière Jean-Pierre Michel / Régie plateau : Ludovic Velon / Construction décors : Thomas Ramon – Artom / Accessoires : Frédérique Bertrand / Avec l’accompagnement de Jérôme Guimon de l’association Ensuite.

Dates
  • du 14 au 16 novembre 2024 : Points Communs, scène nationale de Cergy-Pontoise et du Val d’Oise (95)
  • du 19 au 20 novembre 2024 : Théâtre de l’Agora, Scène nationale de l’Essonne – Evry (91)
  • du 29 novembre au 8 décembre 2024 : MC93, Maison de la Culture de Seine-Saint-Denis – Bobigny (93)
  • du 12 au 14 décembre 2024 : Théâtre de Saint-Quentin-en-Yvelines – Scène nationale de Saint-Quentin (78)
  • les 18 et 19 décembre 2024 : La Ferme du Buisson, Scène nationale – Noisiel (77) 
  • du 8 au 12 janvier 2025 : Le Zef, Scène nationale de Marseille (13)
  • du 29 au 31 janvier 2025 : Théâtre de l’Union, CDN de Limoges (87)
  • Les 4 et 5 mars 2025 : Le Cratère, Scène nationale d’Alès (30)
  • du 12 au 21 mars 2025 : Comédie de Genève (Suisse)
  • les 2 et 3 avril 2025 : Le Parvis, Scène nationale de Tarbes-Pyrénées (65)
  • du 23 avril au 3 mai 2025 : Théâtre Nationale de Strasbourg (67)
  • Les 6 et 7 mai 2025 : Théâtre + Cinéma, Scène nationale Grand Narbonne (11)
  • du 20 au 22 mai 2025 : Le Bateau feu, Scène nationale de Dunkerque (59)
  • les 10 et 11 juin 2025 : L’avant-Seine, Théâtre de Colombes (92)

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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