C’est la même question qui se pose que pour les innombrables biopics qui ont fleuri ces dernières années sur nos écrans de ciné : où se situe la démarche artistique lorsqu’on met en lumière l’existence ou le combat d’une personne célèbre ? À quel endroit du spectacle vivant se trouve-t-on lorsque, sur un plateau de théâtre, on nous porte un récit qui se suffit déjà à lui-même ?
Depuis son décès en 2020, Gisèle Halimi est devenue un personnage de fiction maintes fois convoqué, connaissant un succès posthume extraordinaire tandis que son combat – celui de toute une vie – trouve un écho fort dans les problématiques sociétales contemporaines. Et s’il est indéniable que les luttes qu’elle a pu mener en faveur des droits des femmes, associées à son caractère forgé par un désir infini de liberté, marquent de leur empreinte tout un pan de notre histoire, il y a dans Gisèle Halimi, une farouche liberté une volonté de porter ce récit sur un plateau de théâtre, choix qui soulève quelques interrogations.
Dans cette mise en scène de Lena Paugam, le texte d’Annick Cojean, mêlé à certains extraits de la parole même d’Halimi, s’apparente à une sélection de morceaux choisis de la vie et de l’œuvre de l’avocate. Déjà de cette matière textuelle se dégagent deux axes qui se veulent complémentaires : d’un côté l’aspect intime, très personnel, de ce qui a construit cette femme en tant qu’individu au sein de la société, de l’autre celui de son travail, de ses combats et de son positionnement social et politique au fil de sa carrière. Si ces deux pans sont indissociables dans le portrait de Gisèle Halimi, ils sont traités ici presque distinctement l’un de l’autre. L’intime des premiers instants laisse rapidement place à une approche plus anecdotique marquée par quelques moments clés, délaissant la femme au profit de la personnalité publique.
Au plateau aussi, les voix sont portées sur deux niveaux qui peinent à trouver une dynamique commune. L’apaisement et la didactique de Philippine Pierre-Brossolette rencontrent l’énergie et les invectives d’Ariane Ascaride, donnant lieu à un discours à sens multiples qui situe le personnage de Gisèle Halimi entre la mesure et la révolte. Évoluant toutes deux dans un espace qui mêle l’austérité du bois brut – un tribunal, un hémicycle ? – à la rêverie et la liberté représentées par la mer et l’horizon, les deux comédiennes font ainsi le récit, particulièrement élogieux, de cette femme qui a marqué la société française.
Voilà qui nous ramène au questionnement initial : comment appréhender le travail effectué sur un personnage aussi emblématique, aussi nécessaire sous bien des aspects ? S’il s’agit ici de donner un écho toujours plus important à la parole de Gisèle Halimi, et ainsi de poursuivre ses combats pour ne jamais oublier qu’ils sont essentiels, il est évident que cette pièce, ce portrait d’une femme devenue symbole, est plus que pertinente. Mais à devoir choisir entre la puissance intrinsèque du propos et la théâtralité de son traitement, on en vient à se contenter d’une approche artistique d’apparence qui, fort heureusement, parvient néanmoins à passer son message.