« Ghost Writer », l’envoûtant manège à trois de Miet Warlop

Créé en 2017 à Actoral et accueilli cette saison par le Théâtre La Vignette et Montpellier Danse, Ghost Writer and the Broken Hand Break apparaît peu commun dans l’œuvre de Miet Warlop. La chorégraphe y propose une pièce performative puissante qui développe son propre langage.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
4 mn de lecture

Quelque part entre la performance physique et le rituel de transe, se situe Ghost Writer and the Broken Hand Break. Dans cette pièce qu’elle considère comme détachée de ses habitudes de création, Miet Warlop conçoit un spectacle à l’apparent minimalisme, révélant détail après détail une écriture fine et puissante. Pourtant rien ne le présageait ; au plateau, la chorégraphe belge se présente avec ses deux interprètes tandis que la lumière public persiste. Déterminées, les trois silhouettes prennent place, sans attendre, dans le halo de lumière qui leur est dédié. Ainsi s’écrit cette pièce, aussi simple que “A, B, C”, avec trois corps, trois voix et trois projecteurs.

C’est en tout cas ce que voudrait laisser penser Miet Warlop, alors qu’elle et ses acolytes commencent à tourner sur eux-mêmes dans le silence – pas encore dans l’obscurité – de la salle. Le mouvement surprend, étonne, questionne, au moins les premiers instants, alors qu’il n’est pas encore devenu la norme. L’effet de surprise empêche pour l’heure de discerner que les trois corps ne répondent pas à la même dynamique. Vitesse, schéma, posture… chaque interprète développe imperceptiblement sa propre partition et concourt à l’écriture d’un tableau en perpétuelle mutation. Puis la rotation devient, pour les danseurs comme pour les spectateurs, la seule trajectoire, le seul mouvement possible. Minute après minute, Ghost Writer insinue sa rythmique et son élan dans les esprits de celles et ceux qui regardent, provoquant une empathie palpable – audible – lorsque, sans appel, toute la machine chorégraphique s’arrête net pendant un temps.

Car Miet Warlop embarque tout dans son processus de fabrication, jouant notamment sur un entre-deux constant entre le mouvement infini et l’immobilisme, entre le chaos et l’harmonie. Presque rien ne relie ces trois corps, pourtant ils évoluent dans une interdépendance essentielle à l’instauration d’une énergie commune grandissante. C’est aussi par ce biais que l’artiste parvient à s’emparer du public, détaché de la pièce par son statut d’observateur et néanmoins pleinement impliqué dans ce qui se construit sous ses yeux.

Il faut dire qu’au-delà de l’exigence que nécessite ce mouvement rotatif – qui n’est pas sans rappeler celui des derviches tourneurs –, la chorégraphe semble pousser toujours plus loin ses limites et celles de ses interprètes. Et pour cause, Miet Warlop fait peu à peu de Ghost Writer and the Broken Hand Break un véritable concert rock dans lequel la création musicale rencontre la performance physique. Le décalage ainsi créé, entre l’énergie mobile instable des corps et l’équilibre de l’interprétation du chant et des instruments, fait ressortir l’inconnu à partir d’éléments pourtant communs. Dans ce manège qu’elle met à l’œuvre strate par strate, cette pièce envoûte autant qu’elle impressionne, emportant dans son envolée tout ce qui la compose.


Ghost Writer and the Broken Hand Break
Création 2017 – Actoral
Vu au Théâtre La Vignette avec Montpellier Danse

Crédits

Interprétation Wietse Tanghe, Joppe Tanghe et Miet Warlop / Musique Pieter Demeester, Wietse Tanghe et Miet Warlop / Texte Raimundas Malasauskas, Miet Warlop et Pieter De Meester / Technique Thomas Vermaercke et Patrick Vanderhaegen / Son Bart Van Hoydonck / Lumières Henri Emmanuel Doublier / Costumes Karolien Nuyttens / Remerciements Carl Gydé, Jérôme Dupraz, Ian Gyselinck, Michiel Goedertier (LaRoy NV), Janis Van Heesbeke, Maarten Van Cauwenberghe, Brahim Benhaddou, Seppe Cosyns, Elke Vanlerberghe, Niels Antonissen, Mathias Batsleer, Carla Beeckmans, Midas Heuvinck, Arno Truyens et Bennert Vancottem

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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