Les murs ont beau être imposants par leur taille, le bois brut et clair qui les recouvre associé aux grilles, porte de sécurité et rideau de plastique jauni tout droit hérité d’un entrepôt quelconque les rend froids, inhospitaliers, inconfortables. Rien dans ces lieux n’est véritablement propice à renouer les liens d’une famille désunie. Ce qui pourrait être un salon chaleureux ressemble davantage à un espace neutre et sans âme, comme ceux dans lesquels se retrouvent les groupes de parole et où est hébergée la population en cas de catastrophe. C’est d’ailleurs cette forme que commence par prendre cet Oncle Vania dans la mise en scène de Galin Stoev, qui place sa pièce dans une temporalité indéterminée en se rapprochant de notre époque incertaine.
Assis en ligne sur des chaises aussi impersonnelles que raides, tous les personnages de la pièce semblent réunis sans désir autour d’un bâton de parole et face au public. Ici les choses qui doivent être dites peuvent l’être, et qu’importe si l’atmosphère est lourde des mots que l’on retient. L’environnement brut ne peut laisser place qu’au langage ou à son absence. Comme souvent chez Tchekhov, le plateau devient le lieu où les relations n’en finissent pas de se désagréger tandis que la situation qui les rassemble passe au second plan, au mieux déclencheur des conversations.
Dans la scénographie d’Alban Ho Van, qui ouvre pourtant de larges espaces de jeu, Galin Stoev mène son Vania dans un déséquilibre constant. Resserrant la plupart des échanges dans une forme d’intimité qui se joue au pied de la baie vitrée donnant sur l’extérieur, le metteur en scène impose au public ce qu’il fait vivre à ses personnages : une sensation d’inconfort, un entre-deux permanent et sans issue véritable. Car c’est bien là ce qui marque le récit de cette pièce : le chamboulement d’un ordre établi dont chacun se satisfaisait et qui se retrouve mis à mal du jour au lendemain. Avec l’arrivée, depuis la ville, du professeur Sérébriakov et de sa femme, le quotidien du domaine familial situé en pleine campagne engendre un mal-être général que chacun finit par subir. Ne reste alors pour les « parasites » que la fuite – espérée par certains, redoutée par d’autres –, qui laissera dans son sillage des séquelles ravivées.
Au cœur de cette ambiance électrique, l’un d’eux s’en sort étonnamment mieux que les autres. Moqué et mis à l’écart, le personnage de Gaufrette arpente quant à lui le plateau en long et en large, faisant de ce grand espace son terrain de jeu. Bricolant discrètement son petit semblant de vie, il évolue bien loin des considérations qui se trament autour de lui et sort de cet épisode éprouvant plus heureux que les autres, plus heureux que jamais.
On pourrait lire dans cette mise en scène une approche contemporaine de la pièce de Tchekhov qui tendrait à faire écho à l’exode des citadins vers les zones rurales, notamment depuis la crise sanitaire. Mais le texte pris dans la perspective de notre époque suffirait à en développer cette interprétation. Ce que fait Galin Stoev dans cet Oncle Vania, en revanche, c’est mettre à nu, à cru, ce que la logorrhée de l’auteur révèle en sous-texte : des relations humaines rendues presque insoutenables par un langage qui peine à s’exprimer, créant des situations initialement évitables mais dont on ne parvient plus à s’extirper.
