« Des caravelles et des batailles », l’utopie d’Éléna Doratiotto et Benoît Piret

À l’occasion du mois qui leur est consacré au Théâtre des 13 vents à Montpellier, Éléna Doratiotto et Benoît Piret reprennent “Des caravelles et des batailles”, pièce créée en 2019 au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine.

Peter Avondo
Peter Avondo  - Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
4 mn de lecture

Comme toute société, celle imaginée par Éléna Doratiotto et Benoît Piret repose sur sa propre histoire. C’est d’ailleurs par son récit que cette communauté accueille ses nouveaux arrivants, rapidement mis au fait de ce qui lie les quatre tableaux accrochés avec fierté dans le grand hall. Dans ces toiles qu’on imagine imposantes – elles n’existent que dans notre esprit –, le peintre transcrit l’attaque menée au XVIe siècle par Francisco Pizarro contre le peuple Inca de l’empereur Atahualpa. Ce massacre, auquel ils reviennent souvent comme pour en saisir l’ampleur à défaut d’en comprendre tous les tenants et aboutissants, ne semble véritablement lié à aucun des personnages qui nous font face. Pourtant, c’est bien à partir de cette tranche d’histoire que se construit leur quotidien, dans l’héritage des caravelles et des batailles.

À l’image d’Andréas, débarqué d’on ne sait où et dans l’ignorance totale de ce qui l’attend, le public est mis face à sa propre expectative. C’est visiblement le lot de celles et ceux qui viennent ici en pensant que tout peut se rejouer comme « à la ville ». Mais aucune des règles du monde moderne ne semble pouvoir s’appliquer, pas plus qu’il est souhaitable d’en reproduire les travers. Aussi les spectateurs apprennent-ils rapidement à épouser le faux rythme qui donne le tempo à cette collectivité, se satisfaisant, comme les personnages eux-mêmes, de petites joies et de conversations a priori banales.

© Hélène Legrand

Ceci étant, sous ses airs d’utopie légère, Des caravelles et des batailles soulève un certain nombre de réflexions ayant trait au concept d’humanité. Les relations et les comportements au sein de la communauté sont régies tacitement, dans une entente globalement cordiale, qui paraît d’ailleurs effrayante dans son absence d’animosité. Les conflits y sont rares et semblent eux aussi se résoudre sans désir de s’y attarder. Même les mauvaises nouvelles ou les reproches y sont accueillis avec déférence, quand l’opposition frontale pourrait être la norme. En somme, c’est affranchie de toute son hostilité que l’espèce humaine se donne ici une chance de refaire société, quitte à se confronter à sa propre vanité.

Car le temps a beau filer à toute vitesse, il n’en reste pas moins une donnée de référence, quoique parfois indécise. Toujours est-il que les occupations ne sont pas pléthore et qu’il est dans la nature humaine de chercher à tromper l’ennui. Or, dans ce lieu qui célèbre précisément l’oisiveté et l’insignifiant, il est plutôt question d’accepter l’inaction au profit des relations interpersonnelles qu’elle engendre. De la sorte, Éléna Doratiotto et Benoît Piret donnent lieu à un théâtre qui se compose de poésie et de possibles. Des caravelles et des batailles fait du plateau un lieu de projection de l’imaginaire qui n’oublie pas de garder un œil ouvert, bien que distant, sur le réel.


Des caravelles et des batailles
Création 2019 Théâtre Jean-Vilar – Vitry-sur-Seine
Vu au Théâtre des 13 vents – Montpellier

Écriture et mise en scène Eléna Doratiotto et Benoît Piret / avec : Salim Djaferi, Eléna Doratiotto, Gaëtan Lejeune, Anne-Sophie Sterck, Benoît Piret et Jules Puibaraud / collaboration à l’écriture et à la dramaturgie : Salim Djaferi, Gaëtan Lejeune, Anne-Sophie Sterck, Jules Puibaraud / collaboration à la mise en scène et à la dramaturgie : Nicole Stankiewicz / scénographie : Valentin Périlleux / regard scénographique et costumes : Marie Szernovicz / Lumières : Philippe Orivel

18 au 20 mars 2025 : Théâtre des 13 vents – Montpellier

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Par Peter Avondo Critique Spectacle vivant / Journaliste culture
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Issu du théâtre et du spectacle vivant, Peter Avondo collabore à la création du magazine Snobinart et se spécialise dans la critique de spectacle vivant. Il intègre en mars 2023 le Syndicat Professionnel de la Critique Théâtre Musique Danse. 06 22 65 94 17 / peter.avondo@snobinart.fr
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