Arriver dans la salle et affronter, dans une semi-obscurité, la montagne d’accessoires et de décors qui jonchent le plateau, voilà qui pose déjà les bases de cette pièce : bienvenue dans le monde de la démesure. Quelques instruments de musique sont posés à Jardin, un cerf trône, majestueux, au centre, et des estrades empilées sans stabilité apparente occupent l’espace à Cour. En fond de scène, un immense mur, comme l’arrière d’un décor de cinéma, agrémenté d’une descente d’escaliers digne des comédies musicales de Broadway recouverte d’un immense rideau rouge, achève de nous plonger dans un univers du spectacle, de la mise en scène, de ce que l’on veut bien nous montrer.
Dès les premiers instants, le public est plongé dans le récit, celui d’un conte ou d’une fable. En l’occurrence, c’est l’histoire de Psyché qui nous est présentée, telle qu’elle aurait été écrite à notre époque. Ado rebelle ou femme fatale, références pop culture à l’appui, sorties métathéâtrales, monde gouverné par les machines… l’auteur réunit dans ce texte une multitude d’univers qui, étrangement, trouvent un point de convergence pertinent dans cette pièce.
J’aimerais être une machine pour ne pas avoir de pleurs
Lazare et ses interprètes nous servent des extraits d’une puissante théâtralité, enchaînés comme des numéros de cabaret. À chaque saynète son lot d’extravagance et de dramaturgie qui fait avancer le propos et l’augmente, montrant au-delà du mythe une partie de ses conséquences. Chacun de ces passages est intense et rapide, provoquant parfois une certaine frustration, mais systématiquement au service d’un équilibre global. Avec des effets scéniques qui tiennent autant du grand spectacle visuel que du bricolage, le metteur en scène instaure une ambiance bon enfant autour de ce drame définitivement moderne.
Dans Cœur instamment dénudé, le cabaret ne se manifeste pas que dans la scénographie, qui fait ressortir quelques trouvailles, notamment sur la lumière, dont aucune n’est gratuite. Le récit des comédiens se mêle aussi aux voix chantées des mêmes interprètes, qui nous offrent alors des instants d’une belle puissance et nous rappellent systématiquement au spectacle. Mention, par ailleurs, pour la composition et l’écriture de ces chansons qui répondent avec beaucoup de pertinence au reste de la pièce. La dynamique est intelligente, le rythme ne retombe pas et nous mène jusqu’au terme sans aucune difficulté.
Ce qui épate dans cette forme, c’est précisément la facilité qu’ont les genres à se mêler les uns aux autres, à s’alimenter, à se développer. Avec ses propres mots, Lazare parvient à porter jusqu’à nous une fable qui appartient à une époque pourtant lointaine. Il fait notamment le choix d’une proximité physique qui, bien qu’étonnante pour une forme aussi imposante, impose une attention particulière et une connexion évidente entre la salle et le plateau.
Et finalement, ce que nous raconte cette pièce n’est autre qu’une histoire d’amour contemporaine comme une autre. Il y a bien quelques références à l’écologie, au libéralisme, à la politique, mais le fond du sujet est bien plus simple, plus trivial. C’est d’ailleurs parce que le propos est si banal qu’on peut ainsi se permettre de le rendre excentrique. C’en est presque apaisant, ce théâtre qui n’a d’autre enjeu que le spectacle lui-même, lorsqu’il est bien mené.
Un ours était amoureux d’une pâquerette. Mais comment s’aimer sans s’écraser ?
En définitive, Cœur instamment dénudé transforme le commun en inédit, à travers une forme qui ne laisse aucune place à l’ennui. Chacun des interprètes y va de son énergie propre au profit d’une dynamique d’ensemble à vous épuiser, avec une générosité sans feinte qui fait plaisir à vivre.