L’ambiance est très solennelle sur la scène du Chêne Noir. Avec des dorures à s’en éblouir dans tous les recoins et un fauteuil royal s’imposant au sommet d’une estrade, on se croirait presque dans la Salle du Trône de Versailles, alors qu’il s’agit du bureau présidentiel de l’Élysée. Le ton est donné, le parti pris assumé, ici va se jouer l’un de ces épisodes politiques de l’ombre qui n’ont pas vocation à être portés à la connaissance du peuple.
Dans son costume bien taillé, la Légion d’Honneur épinglée sur la poitrine, apparaît un Président de la République plus vrai que nature campé par Alain Leempoel. Un rôle qui semble fait pour lui tant il le porte avec un naturel déconcertant, dans l’image qu’il renvoie autant que dans la gestion de son cabinet.
Avec une écriture effrayante parce que terriblement pertinente, et une mise en scène qui pose un rythme pondéré et oppressant, le duo Gelas père-fils réussit une création qui sort des sentiers battus, une plongée au cœur des rouages mystérieux du pouvoir. Sans jamais tomber dans le piège de l’humour potache présidentiel, les sujets dans Le Jeu du Président sont abordés avec beaucoup de vraisemblance et un détachement qui interroge quant à l’apparente normalité des situations décrites.
Il faut dire que le texte ne fait pas de quartier. Les faits avancés, les discours réutilisés, les « petites phrases » disséminées ici et là font nécessairement référence au Président en place. Mais les jeux de séduction, de trahison, de mensonges et de coups fourrés, eux, sont hérités d’une politique en place depuis des décennies, des siècles peut-être. Le tout est rendu avec une simplicité des plus efficaces par des comédiens dont le naturel est épatant.
Au bout de deux heures qu’on ne voit pas passer, on ne peut pas dire que l’on sort du Chêne Noir empli de beaucoup d’optimisme. C’est pourtant une vraie satisfaction de découvrir une pièce aussi sensée et sérieuse en plein dans l’actualité qui, en dépit des risques, ne souffre ni de son absence de recul sur son époque, ni de la facilité que pourrait induire un tel sujet et dont elle s’affranchit brillamment.