Au-delà de la critique de la bourgeoisie dans le texte, classe qui a d’ailleurs bien évolué depuis les plus de 150 ans qui nous séparent des grandes heures du vaudeville, l’écriture de Labiche est un outil essentiel au genre, tant par la finesse de ses jeux de mots et autres quiproquos que par le rythme, inhérent à chacune de ses pièces, qui joue un rôle majeur dans le ressort comique de ses textes. Pourtant, dans Une île flottante (Das Weisse vom Ei), Christoph Marthaler fait le choix de se passer de toute la délicatesse et la dynamique des répliques pour tenter, probablement, d’en faire ressortir autre chose… mais quoi ?
Alternant difficilement et avec peu de lisibilité entre différents registres, le metteur en scène se balade de l’absurde au clownesque, des instants dramatiques aux parenthèses potaches, et sert une pièce qui se perd à force de ne pas pouvoir s’assumer. Dans un décor surchargé de bibelots à l’utilité aléatoire – dont on finira par décharger le plateau lors d’un ballet interminable et prévisible en fin de représentation –, les personnages s’adonnent à des cascades de mauvais cirque, à des mimiques d’un autre temps et à des blagues d’un goût douteux qui laissent l’amère impression qu’Une île flottante constitue finalement un délire personnel entre le metteur en scène et ses interprètes.
Point essentiel du parti pris de Marthaler, le rythme du vaudeville ralenti à l’extrême ne touche pas non plus son but, nous perdant davantage dans l’attente d’une action, d’une résolution, d’une énergie qui ne viendra pas. En espérant déstructurer le genre pour l’augmenter de sa propre réflexion, le metteur en scène finit par en effacer tous les repères, sans pour autant combler leur disparition. Bien sûr le texte recèle encore de savants détails et pourrait créer des situations irrésistibles, mais ainsi récité comme par automatisme et dans une dynamique aussi brisée, on en vient à seulement tenter de se réjouir de ce qu’il aurait pu se passer.
Aucun doute sur le fait que Christoph Marthaler propose bel et bien sa propre adaptation de l’œuvre de Labiche. Travaillant à l’extrême contre-pied de ce que l’on y attend, il crée là l’unique surprise de ce spectacle, qui croule par ailleurs sous les évidences. Reste que les souvenirs qu’il laisse sont empreints d’incompréhension à bien des niveaux, après une pièce dont le propos reste bien nébuleux après plus de deux heures de représentation.